concert
L’acteur a réveillé Barbara au festival des Athénéennes dimanche soir. Moment suspendu

La nuit était son espace, le noir sa couleur, le piano son confident. Barbara avait aussi un double contraire: Gérard Depardieu. Dimanche soir à l’Alhambra, le géant est venu ranimer l’art de sa chère amie. A l’heure du rendez-vous, la salle, pleine à craquer, l’ovationne.
La main gauche tâtonne dans le vide pour saisir le pied du microphone, appui indispensable à sa navigation nocturne. De l’autre, le colosse serre le micro pour chanter, clamer, éructer, susurrer et murmurer sa déclaration aux oreilles du public captif. La soirée vibrante s’achève plus tard sur une distribution de roses rouges en bord de plateau. Le festival des Athénéennes connaît probablement là un de ses moments les plus forts.
Yeux de biche et regard d’ours
Le spectacle que l’acteur consacre à la chanteuse, disparue il y a à peine plus de vingt ans, relève de l’étrangeté. Deux mondes antinomiques fusionnent. C’est qu’entre Barbara et Gérard Depardieu, il y a eu Lily Passion. Une aventure scénique et une amitié puissantes. C’était en 1985. Elle, liane noire au visage de serpe et aux yeux de biche. Lui, Hercule au physique d’ancien boxeur et au regard d’ours. Aujourd’hui, Gérard Depardieu promène leur histoire commune de ville en ville.
Au clavier, recroquevillé sur les touches, Gérard Daguerre est à l’œuvre. Celui qui accompagna la longue dame brune à en devenir l’ombre portée et la lumière palpitante illumine l’acteur-chanteur, de façon discrète et intense.
Ecoutez. Le comédien creuse le sillon du souvenir pour empêcher le temps d’en effacer les marques. Mémoire, mémoire. Comment commencer autrement? A partir de cette chanson, mots et musique n’arrêtent plus de s’entrecroiser. Suivront une quinzaine de titres, que la salle finit par fredonner en fin de parcours (Dis, quand reviendras-tu?).
Pudique et profond
Chantés ou récités, les textes et les mélodies sont toujours incarnés du fond de l’âme. Nantes touche quand il s’agit du père. Le soleil noir bouleverse, qui pleure la mort d’un enfant. Du grand Depardieu. Celui de Cyrano et des rôles historiques. Celui de l’amour et de la tendresse aussi, si pudiques et profonds.
Lui qui travaille au prompteur, «n’apprend pas [ses] textes par cœur», n’est «qu’un acteur» et «pas un chanteur», comme il le rappelle au salut, ranime les fantômes comme personne. Sa gourmandise des textes et son plaisir des mélodies attisent l’imaginaire comme seuls les vrais conteurs savent le faire.
Regardez. Gérard a perdu trente ans. Barbara le rajeunit. On le retrouve intact, celui des Valseuses. Géant aux ailes d’ange, Depardieu arpente tous les registres. Quelques bribes de théâtralité dans L’aigle noir, Ma plus belle histoire d’amour ou Marienbad, mains et bras dansant sur l’air et dos tourné en conclusion, n’enlèvent rien au talent du colosse. Son hypersensibilité, le feu de son jeu et la douceur de son chant n’ont ni âge ni genre. Et on entend sourdre dans sa voix veloutée celle, si claire, de sa si «chérie».