«Ghosteen», Nick Cave vers la splendeur
Musique
Jeudi dans la nuit, le rocker australien donnait rendez-vous à ses fans, sur le web, pour découvrir «Ghosteen», collection de chansons parmi les plus belles qu’il ait enregistrées

C’était il y a une semaine. Répondant sur son site The Right Hand à un fan, Nick Cave annonçait qu’un nouveau disque arrivait, qu’il se nommait Ghosteen («esprit adolescent») et qu’il s’agissait d’un double album, le premier du genre depuis Abattoir Blues/The Lyre of Orpheus (2004). Dans la foulée, était publiée sa pochette: la représentation kitsch d’un paradis peuplé de fauves et de flamants roses. Puis une date tombait. Le 3 octobre, à 23h, ses dix titres se dévoileraient en avant-première sur YouTube. On se jurait d’en être. A raison.
Ghosteen contient parmi les plus somptueuses compositions écrites par Nick Cave. Sorte de suite majestueuse donnée à Skeleton Tree (2016), œuvre déchirante où un père supporte le deuil d’un fils, Arthur, 15 ans, disparu des suites d’un accident, le 17e album de l’Australien oppose cette fois l’empathie au désespoir. «Que se passe-t-il lorsqu’un événement terrible vous change totalement du jour au lendemain?» demandait-il dans le film One More Time With Feeling (2016). Chez lui, ce fut un «sentiment profond envers les autres, et une compréhension absolue de leurs souffrances».
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«Pour toujours dans les étoiles»
Jusqu’à cet épisode tragique, le drame avait été sa principale matière créative. Son fils disparu, elle était soudain une réalité avec laquelle il lui fallait humainement continuer d’exister. Afin de contenir l’angoisse, il se lançait dans une tournée mondiale. Il s’y sauvait, plaçant la mémoire d’Arthur «pour toujours dans les étoiles», comme il l’expliquait. En deux parties distinctes, l’une étant «les enfants», l’autre «les parents», Ghosteen convoque de nouveau ce garçon perdu. Mais cette fois non dans la peine. Plutôt dans la foi. Dans la poursuite d’une sérénité fragile, nuageuse parfois.
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Peu d’électricité ici. Aucune rythmique avec le final. Plutôt, afin que la beauté s’arrache aux champs de ruines d’hier (Jesus Alone, 2016), avance-t-on dans un territoire en apesanteur fait d’orgue engourdi, de boucles analogiques froissées, de nappes synthétiques amicales. Warren Ellis conduit l’ensemble. Nick Cave conte et confesse. A 62 ans, sa voix est claire, calme, disant Dieu et des paysages livrés au feu comme souhaitant disparaître (somptueux Spinning Song et Sun Forest). «J’attends que vienne la paix, chante-t-il, dans Hollywood, longue pièce admirable qui clôt ce disque. C’est si long de trouver la paix de l’esprit.»
Il y parvient quelques fois. Dans Bright Horses, d’abord, moins une chanson qu’un rêve vécu yeux ouverts, son introduction éthérée évoquant les songes de Sigur Rós – «un train arrive, je le regarde s’approcher me ramener mes enfants», y murmure Cave. Dans Galleon Ship ou Leviathan aussi, titres tenus comme hors du temps, des chœurs consolants accompagnant ses prières et nuits blanches. Là, dépassant les mille regrets que le deuil a engendrés, l’artiste regarde le passé s’éloigner lentement. «Et je dis au revoir à tout ça, annonce-t-il. Et l’avenir s’annonce comme une vague. Et le passé, avec son courant sauvage, laisse aller.»
Nick Cave & The Bad Seeds, «Ghosteen» (Ghosteen Ltd).