Gianandrea Noseda et sa foi en Verdi
Le chef italien, l’un des plus en vue pour le répertoire verdien, dirigeait le «Requiem» au Verbier Festival. Une interprétation à la fois enlevée et profonde
Gianandrea Noseda, perlant à grosses gouttes, au Verbier Festival. Les dernières mesures du Requiem de Verdi semblent épuiser toutes ses forces. Le chef milanais a attendu plusieurs secondes avant de rouvrir les yeux et de reprendre contact avec la scène, à la fin d’un concert dirigé à la Salle des Combins. Le «Libera me» s’achève dans un silence sépulcral, l’orchestre et les voix jouant aux confins du silence.
C’était jeudi soir, pour l’une des soirées phares du Verbier Festival. L’après-midi même, une dizaine de choristes du Teatro Regio de Turin, dont Gianandrea Noseda est le directeur musical, s’étaient offert une excursion au sommet du Mont-Fort. Une fois arrivés en haut en téléphérique, ils ont gravi les pierres qui mènent à une croix, à 3300 mètres d’altitude, surplombant un panorama absolument imprenable sur le Cervin, les Grandes Jorasses et le Mont-Blanc. Un lieu rêvé pour tester son répertoire, comme «Va, pensiero» de Nabucco, chanté au pied de cette croix, avec ferveur et (tendre) lyrisme. Dix minutes de bonheur pour les quelques touristes assistant au spectacle.
Le Requiem de Verdi, lui, nous emmène au tréfonds de l’âme (plus humaine que religieuse), messe des morts qui ne ressemble à nulle autre, ni œuvre de musique sacrée ni opéra (lire ci-contre). Gianandrea Noseda, le chef italien le plus en vue du moment, qui vient de faire un triomphe avec Rigoletto au Festival d’Aix (LT du 08.07.2013 et du 13.07.2013), était forcément attendu dans une œuvre si originale et exigeante à défendre.
La difficulté consiste à marier les ingrédients, très hétéroclites. A l’intériorité de l’«Introït» et du «Libera me» (d’une beauté sidérante avec le suraigu du soprano que tout le monde attend) s’oppose le théâtre du «Dies irae», aux éclats grinçants et fracassants. Les interventions solistes, nombreuses, entre solos, duos, trios et quatuor, et les parties chorales (le «Sanctus»!) réclament une unité de vision.
Gianandrea Noseda a sa propre idée du Requiem, ni grandiloquente ni sentimentale, vécue de l’intérieur, sans emphase. Il adopte des tempi globalement allants, ménageant avec sa science les transitions. Son art tient de ses deux mentors, Valery Gergiev, pour le côté instinctif, voire animal, dans la plénitude de l’instant (le «Dies irae»), et de Myung-whun Chung, pour l’architecture dans sa globalité et un dosage des forces sur la durée. Il mouille sa chemise (c’est le cas de le dire!), cherchant à canaliser les forces en présence.
Le Chœur du Teatro Regio de Turin est splendide, très idiomatique dans sa couleur et son rendu expressif, capable du plus subtil pianissimo (tout le début de l’«Introït», subtil, émouvant) et du fortissimo le plus féroce (le «Dies irae»). Les jeunes musiciens du Verbier Festival Orchestra semblent suspendus aux gestes de Noseda, tour à tour frémissements de mains (à la manière de Gergiev), impulsions nettes, les yeux parfois fermés pour inciter au recueillement. Les cordes sont soyeuses et délicates, les bois (le basson surtout) serpentent autour des voix, dans un souci d’allégement des textures qui ôte à l’œuvre sa part plus tragique et morbide. Une lecture très différente du Requiem dirigé l’été dernier par Barenboim au Lucerne Festival, où tout était opulence et drame (avec une distribution de luxe réunissant Anja Harteros, Elina Garanca, Jonas Kaufmann et René Pape).
Gianandrea Noseda sait ménager les effets. Il fait ressortir les ruptures de ton, comme après le cataclysmique «Dies irae» où apparaît, du néant, «Mors stupebit» chanté par la basse. Le Russe Ildar Abdrazakov, à la belle étoffe vocale, se montre éloquent et profond («Ora supplex et acclinis»). Daniela Barcellona affiche un mezzo grand format, corsé, ample, puissant, un peu poitriné et trémulant, que l’on aimerait plus subtil. La soprano Maria Agresta chante d’une voix expressive, le registre central intense, un rien fragile au moment de grimper vers son suraigu (elle n’y atteint pas le rayonnement absolument extatique d’une Harteros). L’«Ingemisco» du ténor polonais Piotr Beczala, très demandé sur la scène verdienne internationale, se veut plus ardent que céleste.
D’une manière générale, le quatuor vocal est de haute tenue, mais les solistes pourraient s’écouter davantage mutuellement; l’alliage des deux timbres féminins («Recordare» et «Agnus Dei») est très réussi. Un Requiem juvénile et profond, acclamé par le public de Verbier.
,