En 1980, le gymnase de Burier ouvrait ses portes. Pour fêter l’événement, le directeur de l’établissement veveysan avait décidé d’offrir aux élèves de l’établissement un concert pop. Ils avaient le choix entre trois vedettes, Yves Duteil, Marie-Paule Belle et Jacques Higelin. Le troisième a été plébiscité à l’unanimité des voix moins une. Il venait de sortir le diptyque Champagne pour tout le monde et Caviar pour les autres, qui reste un sommet de son œuvre. Il était plein de sauvagerie, de gouaille et de grâce.

Le 14 mars, dans une aula en liesse, la rencontre des collégiens de la Riviera et du Grand Jacques a été intense et rieuse. Lorsqu’il a chanté «Champagne!», cette ode maldororienne aux créatures de la nuit, un kid lui a tendu une bouteille, le bouchon a sauté et le divin breuvage coulé en abondance pour célébrer «L’ami qui soigne et guérit/La folie qui m’accompagne/Et jamais ne m’a trahi».

Concert phénoménal

Jacques Higelin était comme chez lui en Suisse romande. Le 20 avril 1982, à Lausanne, sur le parking de Bellerive, il donnait sous chapiteau un concert phénoménal. Le magazine Music Scene ne trouvait plus ses mots pour évoquer l’événement: «Comment rendre compte d’un concert d’Higelin de manière complète et dense? Tu n’as qu’à dire: génial, dément, délirant, fou, fabuleux, trop, le pied total, etc. Tout sera dit.»

Puisque l’analyse objective est condamnée «à se casser les dents sur les mille facettes changeantes du personnage, le jeune journaliste a décidé de «procéder par flashes». S’ensuit un long dithyrambe sur «Higelin – magicien, une clé de sol sur la poitrine, une cape tourbillonnante, images, images, un piano blanc […], une panthère blonde monte dans l’aéroplane blindé: c’est Armande Altaï qui rugit «Schizophrenia» à s’en fissurer le larynx et la raison».

«Ouaouh! Un cône!»

Ce jour-là, ce grand rebelle a partagé un joint avec le premier rang des spectateurs «Ouaouh! Un cône! Je ne devrais pas à cause des vulgaires qui traînent dehors.» Gouailleur, il explique: «Un jour, y a un mec qui m’a demandé «Où vas-tu chercher tout ça?» Je lui ai répondu «Mais où tu l’as laissé, connard!».

Plus tard, au CPO de la Croix-d’Ouchy où les musiciens se restauraient, Jacques Higelin a été approché par des rescapés de Lôzane bouge, le mouvement de jeunesse qui avait embrasé la capitale vaudoise à l’automne 1980. Le chanteur a accepté de donner deux concerts en faveur des manifestants traduits en justice par les autorités lausannoises. Il a tenu sa promesse les 2 et 3 octobre de la même année. «La violence, c’est empêcher de respirer, de danser, de chanter… Ça c’est de la violence pure, déguisée en loi. Envoyer des flics contre des gens qui sont dans la rue parce qu’ils veulent donner un autre visage à l’adolescence et à leur pays: VIOLENCE», disait-il au lendemain de ces rendez-vous exceptionnels.

Adepte des décloisonnements

Adulé par la jeunesse romande des années 80, Higelin a tourné régulièrement entre Genève et Leysin. Au Montreux Jazz Festival, en 1986, il chante aux côtés d’Astor Piazzolla et de Didier Lockwood accompagnés par l’Orchestre national de Lille, sous la direction de son fondateur, Jean-Claude Casadesus, et s’enthousiasme pour cette «démarche formidable». Au cours du concert, l’adepte des décloisonnements n’a pas pu s’empêcher de délirer et de descendre dans la salle, mais sans perdre le tempo. Il s’étonnait de «la puissance sonore, de l’impression de grandeur majestueuse» qu’un orchestre symphonique conférait à sa voix. «Moins t’es cloisonné, plus la musique s’approche avec plaisir. Parce que la musique aime ceux qui la servent avec amour.»

En juillet 1989, il soulève le Paléo lors d’une soirée consacrée à la chanson française avec trois générations de «fous chantants», Charles Trenet le grand-père, Jacques Higelin le père et Jacques Haurogné le fils.