Les installations sonores estampillées Meyer font le bonheur du Montreux Jazz comme du Roskilde Festival au Danemark, tout en équipant sur tous les continents des salles de concert, des églises, des musées, des stades, des cinémas et même des bateaux de croisière. Parmi les clients de la société, on trouve aussi bien Metallica que Céline Dion, Justin Bieber que Twenty One Pilots ou Ed Sheeran. Luciano Pavarotti figure aussi en bonne place, entre d’anciennes affiches psychédéliques et de très officiels brevets, sur les murs aux souvenirs.
L’été de l’amour
Helen a rencontré John – ça ne s’invente pas – durant le Summer of Love qui, en 1967, a marqué à San Francisco la naissance du mouvement hippie. Après avoir logé un an sur le campus universitaire de Berkeley, elle avait décidé, avec une amie, de s’installer en ville. Elles occupent un appartement situé au premier étage d’une petite maison. «Notre voisin était un type étrange qui était capable de parler en profondeur de n’importe quel sujet. Nous sommes devenus amis, et ensuite un peu plus», rigole-t-elle.
Ce sont les Beatles qui scelleront leur relation. Inconditionnelle du Fab Four, Helen écoute en boucle Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, huitième album qui vient de sortir. Passionné par le son, John l’invite un soir non pas au restaurant, mais dans le magasin hi-fi où il travaille, afin de lui faire écouter le disque sur une chaîne digne de ce nom. Ce moment sera pour Helen une épiphanie tant sentimentale que musicale.
En juin 1967, le Monterey Pop Festival marquera le point culminant du Summer of Love. Steve Miller demande à John de sonoriser son concert. Le jeune homme décide de tout faire pour servir au mieux la puissance de son blues-rock, à une époque où trop souvent les concerts se résument à une bouillie sonore crachée par de minuscules haut-parleurs.
«On était allés voir Donovan à Oakland et le son était atroce, on n’entendait rien de ce qu’il chantait. John m’a dit qu’il était capable de faire mieux, et tout est parti de là», se souvient Helen. Après un voyage de trois mois qui les mènera en Europe puis en Inde via l’Iran et l’Afghanistan, les Meyer décident de développer des enceintes et amplificateurs permettant aux musiciens de proposer à leur public des expériences immersives.
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Le couple accompagne le développement de la scène psychédélique californienne et réalise pour le Grateful Dead une installation révolutionnaire baptisée Wall of Sound. La grande idée de John est de proposer du matériel qui puisse être indépendamment utilisé pour le rock, le classique ou le jazz, alors que jusque-là tout était très compartimenté. Il fait office de pionnier et sa réputation l’amène en 1973 sur la Riviera lémanique, où un institut de hautes études musicales lui propose un travail de recherche.
«Mon but était de trouver le moyen que de petits groupes puissent avoir un son énorme. J’avais un budget illimité, c’était vraiment un job de rêve!» La famille s’installe d’abord à Crans, puis à Villeneuve. A Montreux, on les présente à un certain Claude Nobs, fondateur six ans auparavant d’un festival à la réputation croissante. Lassé du son moyen proposé au Casino, le Vaudois voulait une meilleure installation. «On s’est tout de suite parfaitement entendus. Claude était un passionné et un féru de technologie. Lorsqu’il voulait quelque chose, il contournait la voie classique pour arriver à ses fins», admire John.
Loi suisse restrictive
Après un an et demi en Suisse, les Californiens retrouvent la Bay Area. John poursuit ses recherches et s’impose comme un architecte sonore capable de sculpter le son, de le diriger dans l’espace. Si la musique enregistrée est dans un sens plus facile à restituer, il a à cœur que la musique live soit elle aussi parfaite, qu’aucun instrument ne fasse de l’ombre aux autres. Sept ans après sa création, Meyer Sound devient en 1986 le partenaire officiel du Montreux Jazz.
«Nous avons depuis continuellement développé des produits permettant d’avoir un son puissant tout en respectant la loi suisse. Car vous aimez apparemment que rien ne soit trop fort… Mais avoir une enceinte qui permette de restituer la rage d’une batterie sans que cela soit trop fort coûte cher. Claude savait cela, et il faisait toujours son maximum pour convaincre ses partenaires qu’il fallait investir. Il ne cherchait jamais à baisser les coûts. Le Grateful Dead avait aussi compris cela. Ils ne voulaient pas faire le maximum de profits, mais proposer à leurs fans les meilleurs shows possible.»
A Berkeley, les différents bâtiments occupés par Meyer Sound révèlent une entreprise reposant encore sur une certaine forme d’artisanat. Lorsqu’on pénètre dans les halles où sont fabriquées et assemblées les enceintes qui font le succès de l’entreprise, on découvre des employés travaillant à la main, on observe des gestes précis, un soin d’orfèvre apporté à chaque étape du processus.
La société est certifiée «green business», car elle respecte de nombreux critères écologiques. Helen et John en sont fiers. Car si l’on parle avec eux de musique, la discussion dévie rapidement sur les questions environnementales. Ils se sentent profondément concernés par la durabilité, dénoncent la surpêche comme la déforestation. Ils ont beau fréquenter les plus belles salles de concert du monde et aimer venir chaque été boire une coupe de champagne sur la terrasse du Centre des congrès de Montreux, ils restent profondément attachés aux idéaux hippies.
Prochain épisode: Alexis Lalande, responsable atelier et infrastructures.
Profil
1967 Helen et John se rencontrent à San Francisco.
1973 Séjour en Suisse.
1979 Fondent Meyer Sound.
1986 La société devient partenaire officiel du Montreux Jazz Festival.
2019 Meyer Sound célèbre son 40e anniversaire.