SZA, funambule sans filet

Prévenons qu’il s’agit d’une entorse – cet album est paru en décembre. Dérogation justifiée par la récolte du début d’année, souvent chiche, et surtout par les ondes sismiques dudit disque: plus de trois semaines après sa sortie, il domine encore les charts. Derrière ce triomphe, trois lettres: SZA. Les jeunes savent. Parce qu’ils suivent Solana Rowe, de son nom de ville, depuis son explosion en 2017. Après avoir publié une série d’EP et joué la ghostwriter pour Nicki Minaj ou Beyoncé, cette diplômée en biologie marine du New Jersey dévoilait Ctrl, album la posant en chantre d’un R’n’B «alternatif», presque méditatif, préférant les tempi moelleux aux beats agressifs. Agilité vocale sur tapis électroniques, funambule entre les genres.

Un succès fait de platine et de Grammys – trop écrasant? Il faudra cinq longues années à SZA, 33 ans, pour livrer la suite. Sur la pochette de SOS, on la voit perchée au bout d’un plongeoir. Miroir d’une photo de Lady Di prise peu avant sa mort, illustrant une forme d’isolement, expliquait l’Américaine. Qui, comme pour ne pas décevoir, a chargé la barque: 23 titres – où s’invitent Travis Scott et Phoebe Bridgers – toujours imprévisibles. Pop (l’excellent Kill Bill), rock ou atmosphérique, le plus souvent feutré, intime et mélancolique, SOS tire sa force de son éclectisme. Peut-être même y a-t-il trop, se dit-on en écoutant l’album d’une traite. Virtuose et versatile, l’univers de SZA se visite mieux sporadiquement – mais toujours sans filet. V. N.

SZA, «SOS» (Top Dawg/RCA).


Gaz Coombes, à pleins tubes

Les fans de Supergrass – ils sont environ 100% à ne pas s’être remis de la séparation du groupe, ni de sa fausse reformation voilà quatre ans – disent avoir parfois du mal avec la carrière solo de leur ancien leader. Motif premier: ne pas retrouver la poudre magique du combo d’Oxford, malgré le talent cosmique de Gaz Coombes. Un argument recevable dans un premier temps. Déjà pour éviter de se fâcher en début de conversation, et aussi parce que Supergrass volait tellement haut dans les années 1990, avec un style bien à lui, qu’il semble impossible de le gommer de notre mémoire. Ses albums n’ont pas pris une ride, et aucun boomer digne de ce nom ne peut encaisser Alright sans flancher devant sa jeunesse perdue et son énergie évaporée.

Alors voilà le truc: il faut désormais écouter le quadra flamboyant à travers un autre prisme, celui d’un nouvel homme qui enchaîne les longs formats très haut de gamme. Son quatrième vient de sortir et on serait bien en peine de lui reprocher quoi que ce soit. C’est d’une justesse infinie dans la production, d’un souffle dévastateur dans la finesse des compositions. On a cru un instant qu’un morceau n’avait rien à faire là (Feel Loop), et puis le refrain est arrivé et il a tout balayé sur son passage. Ça a dû être bien compliqué pour lui de choisir ses singles, voilà sans doute pourquoi il en a dévoilé quatre avant l’album, sur un total de neuf titres. Mais vous pouvez vous jeter sur le reste en toute gourmandise. Philippe Chassepot

Gaz Coombes, «Turn The Car Around» (Virgin Records)


Belle and Sebastian, c’est déjà le printemps

Huit mois après un onzième album tout en délicates miniatures pop, le collectif mené depuis le milieu des années 1990 par le discret Stuart Murdoch est déjà de retour avec 11 nouveaux titres enregistrés pendant les sessions de ce récent A Bit of Previous. S’agit-il de chutes et autres essais qui n’auraient jamais dû être rendus publics? C’est ce que laissait d’abord penser I Don’t Know What You See in Me, un premier single il faut bien l’avouer assez épouvantable – ritournelle synthétique comme une vague copie des Pet Shop Boys et refrain façon Mika… Mais fort heureusement, les dix autres titres qui composent Late Developers rassureront les amateurs du groupe écossais, dont la musique possède ce merveilleux pouvoir de provoquer des émotions profondes sans jamais être sirupeuse ou mièvre.
A l’écoute de Give a Little Time ou d’un The Evening Star aux élans blues, on se dit même que ces morceaux n’ont rien de faces B, confirmant le talent immense de Murdoch et du guitariste Stevie Jackson, même si Belle and Sebastian n’égalera jamais la puissance mélodique des chefs-d’œuvre If You’re Feeling Sinister (1996) et The Boy with the Arab Strap (1998). Stéphane Gobbo

Belle and Sebastian, «Late Developers» (Matador)


Maneskin, gros rock de stades

Maneskin s’est fait connaître devant les caméras de télécrochets (X Factor puis l’Eurovision, remportée en 2021) mais, tour de force, on l’oublierait presque. C’est que, depuis, le quatuor de jeunes Romains – 20 ans et des poussières – a joué en première partie des Rolling Stones à Las Vegas, sur la BO du biopic Elvis et amassé 6 milliards de streams. Porté par un motto, hurlé par le chanteur Damiano David lors de leur victoire à Rotterdam: «Rock’n’roll never dies!» Gros riffs de guitare, looks glam, insolence de bad boys, Maneskin («clair de lune» en danois, langue que parle la mère de la bassiste Victoria De Angelis) se veulent héritiers du rock des nineties à l’heure où le rap encaisse. Phénomène improbable mais loin du feu de paille, preuve en est leur premier album principalement en anglais qu’ils s’apprêtent à emmener en tournée internationale, Rush!

L’univers est aussi bruyant et impatient que suggère le titre, décliné sur 17 titres frénétiques s’inscrivant sans surprise dans la sainte trinité du genre: sexe, drogues et rock’n’roll. «La cocaïne est sur la table», crache Damiano sur Feel, doigt d’honneur à la polémique qui avait entaché leur première place à l’Eurovision. Le ton se veut provocateur, les basses sont frondeuses et les mélodies, dues au producteur suédois Max Martin, infectieuses. On imagine sans peine des tubes comme Gossip électriser les stades, et les ballades, dispensables, faire s’allumer les smartphones. Plus mainstream que hard rock sale, plus efficace que révolutionnaire, Maneskin se démarque sur quelques titres comme Bla bla bla, morceau new wave minimaliste délicieusement dédaigneux. Les Italiens vivent le rêve américain et tout dans leur son transpire la grande vie. On aurait milité pour un petit écrémage – mais rien de moins rock’n’roll que ça. V. N.

Maneskin, «Rush!» (Epic Records)


Nos Jukebox précédents