Tout bon roadtrip nécessite quelques ingrédients clés. Parmi eux: des snacks en suffisance, un copilote (électronique ou humain), assez de place pour les jambes et une bonne playlist. Dans un récent sondage américain (dont la représentativité est à prendre avec des pincettes, mais tout de même), 47% des participants ont affirmé avoir au moins un souvenir de roadtrip lié à un morceau.

Ces mêmes sondés ont élu Sweet Home Alabama, de Lynyrd Skynyrd, parmi les meilleurs tubes routiers. Pour rajeunir quelque peu la bande-son de vos voyages, piochez sans hésiter dans le Jukebox de juillet. L’univers électro-apocalyptique d’Anika pour les plaines poussiéreuses, le vent qui s’engouffre par les fenêtres; les douceurs R’n’B de Leon Bridges pour les soleils couchants chatouillant le pare-brise; les nappes de Ben Chasny pour un morceau de périphérique, de nuit; et les balades ondoyantes de Rodrigo Amarante pour tout le reste.


Leon Bridges (USA), pépite aux reflets R’n’B

A l’image de la jeune Britannique Arlo Parks, découverte marquante de 2021, Leon Bridges, 32 ans, compte parmi les voix qui comptent de la relève néo-soul. La sienne a la douceur caressante qui convient au genre. En 2015, le Texan avait séduit en chanteur d’un Sud version sixties. Mais, dans la veine de Good Thing (2018), Leon Bridges s’émancipe toujours un peu plus de la patine vintage qui l’avait fait connaître – souvenons-nous de l’hymne gospel qu’était River… Son troisième album, Gold-Diggers Sound délaisse la soul pour explorer davantage les territoires R’n’B, le tout mâtiné d''électro-jazz ou de beats pop (Motorbike). Des compositions affûtées, bien dans leur temps, engagées aussi. Comme le splendide et épuré Sweeter, morceau dédié à George Floyd, qui sonne comme un constat d’échec («J’espérais une vie plus douce/A la place, je suis juste une histoire qui se répète»). On aurait pu craindre que le son de Bridges se retrouve lissé par la modernité. Il n’en est rien. A l’écoute de Blue Mesas, qui conclut l’album, on est persuadé d’avoir trouvé en Gold Diggers Sound une nouvelle pépite. Virginie Nussbaum

Leon Bridges, «Gold-Diggers Sound» (Columbia)


Anika (GB-DE), croquer l’éphémère

Voilà dix ans qu’on attendait des nouvelles d’Annika Henderson – sous son alias Anika. La musicienne anglaise basée à Berlin a bien fait de prendre son temps, puisqu’elle nous revient avec sa fameuse voix aux vertus aussi rares que multiples: un ton plaintif, entre colère et panique, marié à une détermination indestructible. Un mélange de qualités parfois antinomiques mais qui donne ici un chant lancinant et un spoken word sensuel, le tout porté par une électro pré-apocalyptique qui donne à la fois envie de baisser les bras et de croquer à pleines dents tout ce qui se présente. A l’évidence, ce n’est pas un album de fête foraine. Quelque chose est sur le point de s’écrouler, elle en parle clairement dans Never Coming Back: «J’ai vu les signes précurseurs/J’ai entendu tous les avertissements/J’ai choisi de les ignorer en fermant les yeux et en me bouchant les oreilles/Et je n’ai fait qu’en parler, encore et encore.» Une chanson d’amour sur la perte qui se marie hélas très bien à l’époque. Ailleurs, il est question de combat, du poids de la réalité, de puissance de l’évasion. Il faut être en grande forme pour l’absorber d’une traite, ou alors en totale dépression. Dans les deux cas, c’est bingo garanti. Philippe Chassepot

Anika, «Change» (Invada Records)


Rodrigo Amarante (BR), un «Drame» sans Escobar

Netflix et la musique: le mariage est fécond. Quand la plateforme publie des documentaires d’artistes, des séries dédiées (The Get Down, Selena) ou quand il braque au détour d’une bande originale sa lumière sur un artiste – heureux dommages collatéraux. C’est le cas de Rodrigo Amarante, dont le nom a fait le tour du monde pour avoir composé (et chanté) Tuyo, le générique de Narcos, carton de la plateforme en 2015. Une balade amoureuse chaloupée, enivrante et volontairement sucrée – Amarante a expliqué s’être inspiré de la mère d’Escobar –, devenue un hit et, étrangement, une sonnerie de portable répandue. Mais Rodrigo Amarante ne se contente pas de mettre les cartels en musique. Le Carioca s’est aussi produit dans des stades avec son quatuor de rock, Los Hermanos, a signé des morceaux pour Norah Jones et publié un album solo. Le second, Drama, vient de paraître. Onze titres texturés où se succèdent anglais et brésilien, bossa-nova et touches de jazz, légèreté solaire et mélancolie veloutée. Pas de drame à l’horizon, que des ondes sur lesquelles se laisser bercer. Après les narcotrafiquants colombiens, nos étés ont aussi leur bande-son. Virginie Nussbaum

Rodrigo Amarante, «Drama» (Polyvinyl Records)


John Grant (USA), éclairs et éclaircies

Ça commence comme un album de John Grant tel qu’on les fantasme encore: quatre extraits d’ouverture qui chaloupent sur les collines de la grâce, des accords de piano grand vent, une voix aussi touchante que retenue. Notamment sur County Fair, deuxième chanson gavée de mélancolie pour un voyage dans le temps qui ramène à son indépassable Queen of Denmark de 2010 ou ses meilleures boucles avec The Czars, son premier groupe, entre 2000 et 2004. Le quinqua du Michigan, installé depuis dix ans à Reykjavik, est capable d’écrire des chansons de rêve à la louche, mais il existe un côté sombre à son talent unique: une attirance incurable pour les sons électros un peu crados et les compositions fofolles. Et donc, ça enchaîne comme un album de John Grant tel qu’on les redoute désormais: des tentatives loufoques qui ne rendent service à personne, dans des hommages revendiqués à Jean-Michel Jarre et Devo, mais qui se vautrent trop facilement dans la fange du son synthé des années 1980. On espère pour lui qu’il s’amuse bien à nous infliger ces éclairs, mais c’est vite inaudible et on doit zapper. Heureusement, la grande galloise Cate Le Bon vient remettre de l’ordre en fin de parcours avec sa production magique. Et Billy, sa conclusion tire-larmes, vient excuser tous ces écarts. Philippe Chassepot

John Grant, «Boy from Michigan» (Bella Union)


Ben Chasny (USA), capitaine vortex

Ben Chasny – l’homme qui se trouve derrière le projet nommé Six Organs of Admittance – a quelque chose de profondément protéiforme. On a pu le trouver aux alentours d’une folk électrifiée et râpeuse, puis en train de parier sur des méthodes de composition semi-aléatoires – c’était sa période dite «hexadique», durant laquelle les combinaisons matérialisées par un jeu de cartes valaient à peu près autant que son jeu de guitare. Avec The Veiled Sea, il lâche les chevaux d’une autre manière encore: c’est un disque à mille facettes, qui passe avec une sacrée aisance de propos très expérimentaux, presque pré-conscients, à des explosions de rock propulsif (le parfaitement décoiffant All That They Left You et sa basse féroce) puis à des moments beaucoup plus méditatifs, à la limite de l’ambient organique. Chasny se donne ici comme un boulimique de sensations opposées et complémentaires: on le suit très volontiers dans cette avalanche de zigzags. Philippe Simon

Six Organs of Admittance, «The Veiled Sea» (Three Lobed)


Les Jukebox précédents

Juin: Wolf Alice, Silly Boy Blue…

Mai: Georgio, Squid, Colleen…

Avril: London Grammar, Charlotte Cardin, Dry Cleaning…