Julie Fuchs, une joueuse au Grand Théâtre de Genève
Classique
Pour sa première apparition en récital avec orchestre, la soprano française a habité la scène de l’institution genevoise comme en situation d’opéra. Une joyeuse fin d’année

Il ne fallait pas attendre d’elle une première venue genevoise dans le drame, la noirceur ou l’austérité. Julie Fuchs avait averti: son programme de Fêtes serait joyeux, en accord avec sa voix, son style et ses compositeurs d’élection, entre baroque, classique et bel canto. La chanteuse possède la scène dans le corps et l’esprit en véritable actrice qu’elle est aussi. Ce n’est pas un hasard si Natalie Dessay est sa référence et qu’elle entretient avec le plateau et les partitions un lien charnel.
Son récital avec orchestre, donné le 31 décembre au Grand Théâtre, l’a montrée à son meilleur dans les airs qu’elle est venue proposer, sorte de tableau de présentation finement étudié. En débutant par Deh vieni non tardar de Susanna des mozartiennes Noces de Figaro, rôle qu’elle incarne avec une retenue et une sensualité toute féminine, elle a offert un chant équilibré, qui se déploie dans la rondeur, la sensibilité et la suggestivité.
Vocaliste impeccable
La voix est veloutée, le timbre soyeux, aux aigus poudrés, le vibrato délivré en douceur et le legato souplement déroulé sur une belle longueur de chant. Dès le début tout est donné. Il restait à démontrer quelle vocaliste impeccable, agile, ferme et tranchante la soprano sait être.
Interview de Julie Fuchs: «Je suis une amoureuse inconditionnelle de Mozart et Haendel»
Joueuse, Julie Fuchs a donné des ailes à la Rosine du Barbier de Séville de Rossini (Una voce poco fa spirituel au caractère trempé). L’Exultate jubilate à l’Alleluia de Mozart solidement timbré a révélé un ambitus extrême parfaitement maîtrisé avant le magnifique et inspiré Tu del ciel de la Bellezza du Trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel, conduit sur le fil du son et de l’émotion.
Une affiche débridée
Après cette part de grâce de la soirée, la puissance satisfaite de Cléopâtre dans Giulio Cesare (Da tempeste), et la séduction ravageuse de Morgana (Tornami a vagheggiar d’Alcina) ont fait honneur à la beauté des airs haendeliens, et la folie extravagante des Langueurs d’Apollon du Platée de Rameau, dansée avec le chef, minaudée et délirée sans complexes dans l’orchestre, a débridé l’affiche.
Quant à Marc Minkowski, venu remplacer Riccardo Minasi, il a mis le public dans sa poche avec des explications humoristiques et des changements de programme commentés de façon ludique. Mais de la 33e Symphonie, au premier mouvement de la 40e, en passant par la Petite Musique de nuit, le finale du 5e Concerto pour violon de Mozart et la Sicilienne de Maria Theresia von Paradis (avec l’honnête Sebastien Bohren à l’archet), le chef a livré une interprétation binaire, déclinée entre des pianissimi au bord du silence et des bourrasques appuyées. Cette bousculade instrumentale en noir et blanc aurait mérité plus de finesse.