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Julien Doré: «Je me sens profondément vivant devant un public»

Le chanteur français raconte – avant un concert acoustique solo à Lausanne – son art, ses grands-mères, l’humour ravageur de son compte Twitter, sa rencontre avec Dick Rivers et même le pourquoi de ses bras musclés

n/a — © Sony Music
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Il sort d’une tournée 2017 faite de Zénith et d’Arena qu’il a remplis partout en France, et aussi à Genève. Une longue pause aurait été logique, mais il a décidé de remettre ça avec Vous & Moi. D’abord un album de reprises dépouillées qu’il a enregistrées en solo dans la cave à vins d’une vieille bâtisse; puis une série de concerts dans des salles plus petites et plus chaleureuses. Un risque? Pas vraiment, puisque toutes les dates ont affiché complet en quarante-huit heures. C’est certes dû à sa base de fans, qu’on sent capables d’aller le voir sur scène toutes les semaines s’ils le pouvaient. Mais aussi à une fascination qui dépasse ses simples compositions, et qui transpire à travers son énergie et sa sincérité.

«Le Temps»: Pourquoi sortir un album acoustique totalement inattendu après votre longue tournée de l’an dernier?

Julien Doré: Parce qu’à l’origine, quand je me mets au piano, les chansons naissent dans une couleur similaire à celle qu’on retrouve dans cet album. D’habitude, elles finissent sur disque dans une autre version, puis on part en tournée et on attend les suivantes après des mois de silence. Cet album acoustique me sert à revenir à l’origine, à proposer les chansons seul sur scène, à refermer la boucle, pour la toute première fois. La tournée de l’an dernier était complètement folle, dans des salles immenses, et je n’avais pas envie que ça se finisse comme ça. Là, c’est juste mon piano et ma guitare dans des théâtres.

C’est plus stressant, du coup?

Beaucoup plus, oui. Déjà, j’avais une double trouille au départ. D’abord que les gens n’aient plus envie de me voir, alors qu’on avait rempli des salles de 6000 ou 9000 personnes tous les soirs l’an dernier. Et puis qu’ils ne comprennent pas que ce serait de l’improvisation totale: rien de cadré, pas de musiciens, pas d’artifices. Mais ils ont bien saisi, dirait-on, et ça m’a vachement touché. Leur bienveillance nourrit le fait que j’ai fait le bon choix de terminer par de la douceur et de l’intime. Je serai seul sur scène, le spectacle va se créer au fil des dates. Les metteurs en scène, ce seront les spectateurs. Je veux du lien avec eux, les faire réagir. Le micro circulera dans la salle et on discutera. De tout, hein, pas de moi. Il y aura des soirs où je n’en serai pas capable, et d’autres où je parlerai trop et où ce sera sans doute beaucoup trop long. Cette prise de risque va me faire beaucoup de bien. Ça va déclencher des choses.

Vous avez eu une drôle d’idée pour vos premières parties: demander à des amateurs de vous envoyer une vidéo, pour ensuite faire votre choix dans chaque ville. Vous en avez reçu beaucoup?

On vient de franchir la barre des 2000 [l’interview a été réalisée à la mi-mars, ndlr]. C’est un joli projet, qui m’oblige à passer toutes mes soirées devant un écran, à chercher celui ou celle qui va ouvrir le spectacle, dans chaque lieu. Par respect, je me dois de le faire seul, dans ma bulle, parce que je ne voudrais pas passer à côté de ce qu’on me propose. Il faut du courage pour montrer une partie de soi-même comme ça et me dire: «Oui, j’ai envie d’ouvrir ton spectacle.» A chaque fois, j’irai sur scène pour présenter l’artiste choisi aux spectateurs, plutôt que de le laisser y aller seul pendant que les gens s’installent et font du bruit. Un peu d’élégance, quoi…

Vous avez repris le tube «Africa» de Rose Laurens, un titre qu’on pensait devenu un peu ringard. Et en plus avec Dick Rivers, pour un résultat finalement étonnant…

Africa, j’adorais cette chanson. A l’époque, j’avais le 45 tours que j’écoutais sur mon mange-disque jaune orangé. Là, j’étais en voiture, le titre passait en radio, et je me suis dit que j’aurais dû y penser dès la Nouvelle Star, en 2007, afin d’amener le texte et la mélodie dans un ailleurs. J’ai trouvé l’arpège au piano, et la voix de Dick a agi comme une lame de fond. Dick, justement. Je suis fan. Et sa voix, comment elle s’est transformée au fil des années… Ils sont très peu nombreux à avoir cette capacité dans cette octave basse là, et à pouvoir la porter de façon aussi juste. Johnny Cash et Leonard Cohen avaient ce coffre et cette histoire. Et Dick, dès qu’il descend de sa zone de confort pour plonger dans le bas, il est incroyable.

Vous le lui avez dit? Parce qu’il pourrait faire un disque de reprises vraiment fort…

Il était pote avec Bashung, il a rencontré Elvis; c’est génial d’écouter Dick te raconter sa vie. Comme tous les artistes qui ont traversé beaucoup de choses, le seul truc qui le raccroche à la vie, c’est la musique. Quand il te dit: «Si je ne chante pas, je meurs!», ça te met une tarte qui te réveille dans la seconde et te fait ouvrir les yeux comme un gosse. C’est un grand exemple: le jour où on ne vit plus les choses comme ça, il faut vite disparaître. C’est un conseil que je me donne à moi-même, surtout pour ne pas vous donner de noms (rires)… Je ne sais pas où j’en serai dans trente ans, mais j’espère que la musique sera toujours au cœur d’une urgence de vivre.

Vous parlez du piano comme de «l’amitié la plus belle» qui ait eu lieu dans votre vie ces dernières années…

Je ne pourrai jamais demander à cet instrument noble et massif tout ce qu’il est capable de faire, et pourtant on arrive à dialoguer. Je ne connais pas le solfège, donc je dois oublier toute idée de virtuosité et être humble en permanence, je n’ai pas le choix. Au fil des siècles, il a été traversé par des chefs-d’œuvre, du génie et de l’immensité, alors j’y vais du bout des doigts.

Vous pourriez mettre de côté cette carrière-là pour devenir acteur à plein temps?

C’est surtout la scène qui me tient, je me sens profondément vivant quand je joue devant un public. J’aime porter mes mots et mes chansons, et j’espère que cette pulsion de vie durera le plus longtemps possible. Faire l’acteur, c’est génial, mais je crois que ça reste compliqué pour un chanteur de traverser cette zone-là. Et non, je ne crois pas du tout avoir une présence à l’écran. Ça a plus de sens quand je réalise mes clips. Une fois cette tournée finie, je reprendrai ce que j’ai commencé à écrire. Un long métrage. Peut-être que je serai à l’image, aussi, je ne sais pas encore.

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Un magazine français vous a récemment demandé de parler du féminin, et vous avez spontanément évoqué vos deux grands-mères…

Ce n’était pas évident pour moi, je suis d’habitude très pudique sur le fait de m’exprimer sur ma famille. Il m’a fallu des années et des années pour apprendre à les écouter me parler de leur vie. Quand deux femmes de plus de 90 ans te racontent comment on traverse une guerre, ça donne une autre approche de ce qu’on définit comme la féminité. Pour moi, la part de féminité la plus délicieuse chez une femme, c’est sa force, son histoire, sa pudeur et sa grâce. Une part bien moins plaintive que celle des hommes.

La parole des femmes qui se libère, justement, vous le vivez comment?

On vit une vraie bascule mais, comme dans toute forme de révolution, il faudra voir ce qu’il en restera, ce qui va se transformer en changement acté. C’est trop tôt, on ne peut pas encore savoir. Mais si le bouillonnement est aussi explosif, c’est que l’injustice durait depuis trop longtemps. Je suis très heureux de pouvoir vivre un truc pareil dans notre époque, qui ne me plaît pas plus que ça. Là, j’ai 35 ans, et le monde entier essaie de se réveiller, ça me rend heureux.

Vous avez identifié pourquoi vous plaisez autant aux femmes? Au-delà de votre plastique, donc…

Ah, ça, je ne sais pas du tout, et c’est très gênant d’analyser ce que je suis. Je suis déjà suffisamment soumis au reflet de moi-même… Si en plus je dois devenir obsédé à l’idée de le contrôler, de me contempler, alors je préfère le fuir et ne pas analyser. Je remarque quand même une chose: c’est quand on expose ses failles et qu’on s’abandonne qu’on est peut-être un peu plus joli à suivre et à écouter. Une des grandes bêtises de l’homme, c’est d’être persuadé qu’il faut se montrer sûr de soi, puissant et viril pour plaire. C’est une énorme connerie. Les femmes ont une approche bien plus intelligente que ça du sexe opposé.

Dernière question sur votre physique, et pas sur vos cheveux pour une fois: ils viennent d’où, ces bras musclés?

J’étais déjà comme ça quand je bossais sur les chantiers dans le Sud, mais je les avais un peu perdus. On a repris le sport voilà quelque temps avec mon bassiste. C’est parti d’un truc tout con en tournée: notre backliner a quinze ans de boxe derrière lui et il se foutait toujours de notre corps quand il rentrait dans notre loge. Et on avait beau lui répondre que l’important était ailleurs, on n’y croyait pas nous-mêmes. Du coup, vexés, on s’y est remis. Au-delà de l’esthétique, absurde, ce qui a payé, c’est le bien-être et le cardio. Décider soi-même du rythme de son cœur, ça change tout. C’est presque une métaphore cette phrase, mais ça joue énormément.

Evoquons votre compte Twitter: c’est vraiment vous derrière les réponses, parfois très tranchantes?

Mais oui, bien sûr! C’est une question qui revient souvent. Il faut quand même faire gaffe, le second degré passe moins facilement à l’écrit qu’avec des vannes improvisées. C’est plus complexe, mais très amusant. J’aime utiliser cet outil de façon hyper-directe, ça contraste avec tout ce système marketing qui est en train de se mettre en place. Ça m’agace, parce que les enfants qui sont fans d’un artiste se sentent privilégiés quand ils reçoivent une réponse. Alors que la plupart du temps, le message n’est ni écrit ni pensé par l’artiste, mais juste géré par quelqu’un qu’il ne connaît même pas. Je trouve ça déprimant. Pas pour moi, hein, j’ai bien compris que c’était pas Beyoncé qui me répondait en direct (rires). Mais quand j’entends la jeune génération dire que grâce aux réseaux sociaux le contact est direct… Donc moi, j’aime bien répondre cash. Ce n’est jamais violent, juste amusé. Du coup on me demande systématiquement si c’est moi, je trouve ça génial.

Il y a des vannes un peu salées parfois. Comme ce fan qui vous dit: «Ma mère vous déteste», et que vous répondez: «Oui, pour une sombre histoire de test de paternité…»

J’ai la chance d’être entouré de mes potes, surtout en tournée. Darko et Mathieu, deux de mes musiciens, sont de grands déconneurs très taquins. Combien de fois je suis sorti de scène en leur disant: «Les gars, j’ai besoin de vous», et on cherche une vanne à trois. Eux sont parfois un peu plus… Enfin voilà, vous avez compris. Il faut juste être subtil, je ne veux jamais que ça blesse, d’où certaines hésitations. Et d’où des centaines d’excellentes vannes que je dois condamner.

Questionnaire de Proust

Si vous pouviez changer quelque chose à votre biographie?

Ma taille. Je lis partout que je fais 1m73, alors que c’est 1m75. Et sans chaussures (rires)!

Le talent que vous n’aurez jamais?

Une confiance suffisante en moi. Arriver à se dire «je suis bien comme je suis», c’est un grand talent qui aide à vivre et à respecter les autres.

Un animal?

Un bélouga. Ils me touchent énormément, on dirait des labradors. C’est le chien parfait, mais sous l’eau.

Si vous étiez une femme?

Celles qui se battent et ne se laissent pas marcher sur les pieds.

Votre plus mauvaise habitude?

Avoir perdu le silence des yeux et des oreilles depuis quelques mois. Il faut que je me taise à nouveau.

Le dernier livre lu?

On m’a récemment offert l’intégrale de Nietzsche. L’approche me semblait complexe, l’objet était presque trop gros. Puis j’ai lu Le gai savoir et j’ai compris qu’on pouvait plonger simplement dedans, alors que je l’avais redouté pendant longtemps.

Profil

1982 Naissance le 7 juillet dans le Gard.

2007 Remporte «Nouvelle Star» sur M6.

2008 Premier album, «Ersatz».

2015 Artiste masculin aux Victoires de la musique.

2016 Cinquième album, «&» (prononcer esperluette).

2018 «Vous & Moi», version acoustique de «&». Le 25 avril, concert acoustique solo à Lausanne, Théâtre de Beaulieu.