Kanye West ne va pas mieux
Musique
Le rappeur américain publie un court album où il met sa bipolarité en scène, préambule à trois autres publications narcissiques annoncées ce mois

On a cessé de s’intéresser à Kanye West il y a longtemps. Réalisateur solide, formidable défricheur de talents, le rappeur est aussi ce rimeur moyen, doublé d’un imbécile jamais avare de frasques ou de sorties navrantes. Un créateur surestimé et personnage vulgaire aux productions duquel on ne jette donc plus qu’une oreille distraite.
Fraîchement sorti, Ye n’assouplira pas nos réserves. Premier volet d’une série de quatre parutions, ce mini-album («extended play») propose d’observer «Yeezy» entretenir sa folie. Jusqu’à la nausée.
«Je suis un super-héros!»
Sur la pochette, une vue saisie à l’aube des montagnes du Wyoming, où Kanye Omari West a récemment planté son studio. A la main, écrit en vert fluo: «Je déteste être bipolaire, c’est génial», punchline voulant synthétiser le programme annoncé dans un enregistrement curieusement bref (trente minutes), farci d’invités (de John Legend à Kid Cudy, de Ty Dolla $ign à Nicki Minaj) et qui frappe d’emblée par son conservatisme.
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En effet, ceux qui voudraient trouver ici une suite aux visions esthétiques voluptueuses ou déréglées de The Life of Pablo (2016) en seront pour leurs frais. Beats, arrangements, sound design: Ye n’a que peu à offrir d’innovant, évoquant même les contours d’un hip-hop old-school dont on pensait le «dieu du rap» auto-proclamé définitivement rangé. West serait-il à court d’idées?
Non, jure-t-il, ici, ce conformisme esthétique sert plutôt à soutenir un propos massue: soit l’artiste placé face à sa bipolarité, le créateur mis en dialogue avec sa folie, la bête de foire aux prises avec ses démons qui le rongent et fondent son génie supposé. «Ce truc bipolaire, nigga, hurle-t-il d’ailleurs en final de Yikes, C’est ma superpuissance nigga/C’est pas un handicap/Je suis un super-héros!»
En 2013: Kanye West, un album taillé à l’os
Enfant terrifié
On demande à voir. Jusqu’à finalement implorer grâce tant «Yeezus» ne nous épargne rien de ce que cet autoportrait laissait redouter: un jeu d’antagonismes systématique fait d’autocélébration éculée et de confessions morbides, d’introspections paresseuses et de déballages usés, d’excuses adressées à qui veut et de dérapages grossiers. «Je pense à me suicider/Je m’aime bien plus que je ne t’aime», se complaît ainsi Narcisse dans I Thought About Killing You. Et nous, pour continuer d’examiner cet étalage, de forcer la volonté…
Trente minutes à demander «qui suis-je?» et aucune réponse probante avancée: plus que jamais, Kanye West, quarante-et-un ans ce printemps, paraît seul, à vif, dérangé. Alors que la Toile raconte à peu près tout et n’importe quoi sur l’ambition analytique d’un album dont on sait qu’il a été retouché jusqu’à la dernière minute, son auteur se montrant incapable de le déclarer bouclé, on s’étonne de découvrir le rappeur de nouveau en souffrance, plutôt qu’accompagné.
Ou bien doit-on comprend que Kanye «sous contrôle», c’est-à-dire médicalisé et se consacrant à son art plutôt qu’à dévisser live sur Twitter est moins vendeur? Que ses fans attendent avant tout de lui d’autres dérapages fâcheux, plutôt que des œuvres d’envergure? Car il n’y a qu’à écouter Ghost Town ou No Mistakes pour comprendre combien Ye est moins affaire «d’auto réflexion», comme il est partout clamé, que de cri d’un enfant terrifié.
«Mais qui êtes-vous?»
Ce garçon qu’on vit notamment piquer une crise de nerfs à Paris en 2013 parce qu’une dame frappée par l’agitation autour de l’idole à l’entrée d’une boutique branchée Rive gauche osa l’aborder pour demander: «Mais qui êtes-vous?» Réaction étranglée de Kanye, alors: «Quoi? Vous ne savez vraiment pas?» Et dans son regard, on s’en souvient, l’horreur du gosse oublié, perdu, abandonné.
Ce même gamin qui se jura autrefois d’être célèbre et qui, surtout, le promit à sa maman, Donda C. Williams. Hélas, celle-ci ne vit rien du couronnement médiatique de son fiston survenu après la publication de 808s & Heartbreak. En 2007, elle décédait des suites d’une intervention chirurgicale. Onze ans après, Kanye hésitait longuement à faire figurer sur la pochette de Ye le portrait du chirurgien responsable de l’opération.
Kanye West, Ye (GOOD Music).