C’est une année comme ça où tout se délite. Des campings s’installent au cœur des villes occidentales, pleines d’Indignés qui n’ont que leur nylon pour pleurer. Des dictateurs en pagaille se rangent des affaires. Et Amy Winehouse casse sa pipe de crack. Il faudrait aller chercher loin la fascination que le monde a éprouvée pour cette choucroutée d’un kilo et demi, qui vacillait dans sa gloire de soul woman dépravée.

Mais l’industrie est ainsi qu’elle se réinvente aussitôt les carnets de deuil publiés. Regardez la petite Adele, 23 ans, beaucoup moins filiforme qu’Amy mais dont la voix a des cristaux liquides et dont l’âme se sent nègre. Elle vient d’Angleterre. A explosé une quantité de records accumulés par d’autres insulaires qui l’ont précédée (les Beatles, pour tout dire). Elle vend plus de disques de son blues raviné que n’importe quel producteur n’en rêvait plus. Il faut croire qu’avec les tempêtes qui s’agitent sur notre monde à l’ouest, avec la sensation que rien ne va plus et que les paris sont faits, nous avons tous besoin d’un grain brisé. Un timbre, deux cordes vocales bouffées de polypes. Exactement comme celles d’Amy. Adele se fait même opérer au laser pour ne pas voir son reste de voix calcinée réduit à un bon souvenir d’été finissant.

La voix est cette chose qui ne trahit pas. Au moment où l’on questionne sur tous les continents la notion d’équité, cette suprématie des vraies voix mangées par la vie, cette ode au don plutôt qu’au travail, laissent songeur. Lady Gaga n’a jamais été si aimée que nue, en duo avec un vieux bourlingueur, Tony Bennett, sur un antique standard de Broadway. Cesaria Evora est morte en abandonnant derrière elle un chant grignoté par les sels marins.

Dans cette oligarchie des voix cassées, Adele a de l’avenir. Pour peu qu’elle résiste encore à la nécessité de colmater sa fêlure.