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Eclat visuel, invention des costumes, tempo soutenu grâce à une belle équipe de comédiens-chanteurs soudés: «Le Domino noir», de Daniel-François-Esprit Auber retrouve un second souffle à l’Opéra de Lausanne

On craignait une musique légère et superficielle, un ouvrage suranné de Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871), compositeur français dont on croise le nom dans les dictionnaires de musique. Or, Le Domino noir est un spectacle réussi, procurant un éblouissement visuel avec ses décors et ses costumes loufoques, aux dialogues parlés réactualisés et aux amourettes légères. Le public rit plus d’une fois au cours de ce récit calqué sur le conte de Cendrillon.
Le metteur en scène Christian Hecq et sa compagne Valérie Lesort – avec l’assistance de Frédérique Lombart pour cette coproduction étrennée à Liège – rivalisent d’imagination pour doper chaque scène et mettre en lumière les charmes d’un opéra-comique aux situations cocasses et aux histoires de fesses sans conséquence. Le livret d’Eugène Scribe permet de brosser toute une galerie de personnages aux clichés assumés, de la jeune énamourée brûlant de désir pour un bellâtre – et pourtant promise au couvent – au bourgeois mal léché, servis par une troupe de jeunes chanteurs-comédiens bien soudés.
De la comédie à la fausse tragédie
Pimpante et gaie, rythmée par la mesure à trois temps, pas toujours captivante (une Ouverture longuette), ponctuée de moments où la musique gagne en raffinements et en inspiration mélodique, la partition obéit aux conventions du genre. On passe de la comédie à la fausse tragédie, avec des accents d’exagération qui font sourire à la fin du premier acte. A l’acte II, Auber réserve un très beau numéro à l’héroïne (la Ronde aragonaise) et parodie la scène du Commandeur du Don Giovanni de Mozart. Certains passages évoquent les manières d’un Rossini. Et l’esprit d’Offenbach souffle déjà sur cette partition aux cordes ailées et aux bois qui pépient.
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Mais que raconte Le Domino noir? Et à quoi renvoie le titre? Oubliez le jeu de société, imaginez plutôt un costume de carnaval fait d’une longue robe volante descendant jusqu’aux pieds, munie d’un capuchon. C’est sous cet accoutrement que l’héroïne Angèle de Olivarès, novice et cousine de la reine à Madrid, quitte incognito le couvent pour savourer une dernière fois les plaisirs du monde. Arrivée à un bal masqué, cette «charmante inconnue» se fait courtiser par Horace de Massarena, persuadé de l’avoir déjà vue. Séduite, Angèle cherche à fuir cet amour coupable… Par un coup du sort, elle ne sera pas ordonnée abbesse et pourra épouser l’homme qu’elle aime.
Angèle est un personnage caméléon qui traverse l’opéra en se travestissant. Une part d’irréel se mêle au récit que la mise en scène exacerbe; les beaux décors se parent d’accessoires qui se mettent en mouvement: le sympathique porcelet rose offert aux estomacs des convives, au deuxième acte, se rebelle! Au couvent, les gargouilles et les cariatides prennent vie. Ce deuxième degré constant avive les contours d’un opéra-comique qui tomberait à plat sans ces trouvailles scéniques.
Une galerie d’hommes-animaux
On saluera l’étonnante galerie d’hommes-animaux conviés au bal costumé du premier acte (méduse, alligator, grenouille, porc-épic…). La distinction entre sphère privée et sphère publique est bien orchestrée avec, d’un côté, l’agitation du bal costumé, les convives se trémoussant au son très bruyant d’une «disco» rétro, de l’autre, les apartés des personnages principaux.
L’attaché d’ambassade britannique Lord Elfort (truculent Laurent Montel) est une sorte de porc-épic qui se hérisse chaque fois qu’il pique des colères. François Rougier campe un Comte Juliano rusé et astucieux. Philippe Talbot insuffle une ligne de chant solaire et racée à Horace. Marie-Eve Munger fait valoir sa voix longue à la séduction flatteuse et aux fioritures exquises dans le rôle d’Angèle, basculant d’un registre aristocratique à celui d’une provinciale, prenant appui sur son accent québécois pour camper «la fille du pays»! Julia Deit-Ferrand est une Brigitte de San Lucar alerte et rouée, Marie Lenormand une Jacinthe à la belle assise. Excellente diction générale.
Les chœurs masculins et féminins de l’Opéra de Lausanne participent à l’élan souriant du spectacle, avec un Orchestre de chambre de Lausanne rondement mené sous la direction de Laurent Campellone. Le happy end preste et artificiel n’ôte en rien le plaisir d’avoir goûté à cette friandise dopée aux amphétamines.
«Le Domino noir», Opéra de Lausanne, jusqu’au 19 mars.