A bientôt 52 ans, le Montreux Jazz Festival (MJF) vaut bien une exposition phare. Seulement, à travers elle, que conter qu’ignorent grand public ou mélomanes? Déjà objet d’un nombre considérable d’ouvrages, films ou programmes radio, l’histoire du rendez-vous fondé par Claude Nobs paraissait avoir été conté sous toutes ses coutures. Une intuition que confirme l’exhibition Montreux. Jazz depuis 1967, où l’itinéraire du festival se rapporte dans ses aspects attendus. En revanche, depuis sa disparition, jamais on n’avait approché son créateur d’aussi près.

Notre galerie photo de l'édition 2017: Le Montreux Jazz 2017, ambiance en images

En arrivant dans cette aile marquée d’une trompette rouge et située au premier étage du Landesmuseum, on s’attendait à entendre vrombir des perceuses et s’agacer quelques techniciens. A enjamber des rouleaux de câbles et contourner des caisses de matériel. Mais rien. Sinon, le ballet du personnel effectuant, silencieux, d’ultimes retouches, l’espace de taille raisonnable qui s’apprête à accueillir l’expo consacrée au Montreux Jazz est étonnamment calme. «On a débuté notre travail dans l’urgence en août, et voilà qu’on boucle le montage en avance», s’amuse Thomas Bochet, conservateur de l’événement. On le sillonne avec lui, passant rapidement sur une introduction qui, sur cimaises peintes en rose ou couvertes d’agrandissements photo noir et blanc, pose les enjeux de ce qui sera examiné ici: comment un événement à visée promotionnelle imaginé dans une destination touristique lémanique un brin désuète s’est finalement développé en l’un des plus importants lieux de rencontre musicale de la scène internationale.

De l’intimité du chalet

Clichés célèbres ou pas, pochettes originales d’albums enregistrés live, affiches au design soigné, posters psychés, flyers ronéotypés, extraits d’archives célèbres, coupures et unes de journaux, trompette or et rouge Ferrari ayant appartenu à Miles Davis: sans surprise, la saga Montreux Jazz se conte d’abord dans sa chronologie, évoquant ses heures épatantes, les personnalités qui lui sont liées, son goût pour les métissages ou l’éclat.

«Si en Suisse francophone, l’histoire du festival est bien connue, il en va très différemment pour le public alémanique, rappelle Thomas Bochet. En concevant cette expo, nous avons gardé à l’esprit qu’elle devait lui permettre de comprendre à la fois l’itinéraire, l’essence et les innovations initiées par ce rendez-vous devenu joyau national.» Mais aussi, d’exalter au plus juste les talents premiers de son grand architecte, Claude Nobs: davantage que son enthousiasme inébranlable ou son sens des affaires, son don inné pour l’improvisation et la convivialité.

La saga Montreux Jazz se conte dans sa chronologie, évoquant ses heures épatantes, son goût pour les métissages

Claude, on le découvre une fois traversée la salle de projection installée au cœur du parcours. Des sièges d’avion semblables à ceux qu’il avait fait installer dans les combles de son chalet du Picotin y attendent les visiteurs. Au programme: des extraits des concerts montreusiens de Ray Charles, Nina Simone ou Marvin Gaye. On se laisse absorber un moment. Puis on se dirige derrière l’écran où s’observent cette fois des séquences capturées backstage par le réalisateur Christian Neu en 2012. On y voit Claude en liberté, étreindre Dr John, rire avec Herbie Hancock ou Grace Jones, ou bien envoyer valser sa chemise à l’issue d’une jam. Un an après ces instants exactement, le Jazz Festival s’ouvrait orphelin, quand le Picotin demeurait tel que son démiurge l’avait laissé: croulant sous les meubles design, les objets de collection, les instruments offerts, les œuvres d’art bizarres, les kilomètres d’archives.

Harmonicas et lunettes

Tenter de traduire l’essence de la demeure de Claude Nobs, arrière-cour du Montreux Jazz et havre constamment ouverts aux amis, c’est ce que propose le dernier espace de l’exposition du Musée national suisse. Quand nous y pénétrons, l’artiste français Cyril Hatt y achève une curieuse sculpture en papier inspirée «de l’intimité que l’on trouve au chalet», selon lui. A proximité s’admire le kimono japonais offert à Nobs par Freddie Mercury. Plus loin, s’observent parmi les cravates impossibles qu’aimait à porter «Funky Claude». Enfin, plus inattendus et montrés sous verre, les tiroirs de son bureau personnel. «On l’a vidé pour dévoiler son contenu sans rien modifier», précise Thomas Bochet.

S’étalent là une collection d’harmonicas Lee Oskar, des lunettes par dizaines ou des gadgets électroniques obsolètes. Plus loin, ce sont des distinctions nombreuses, ou les originaux des contrats d’engagement signés avec Aretha Franklin ou Miles. On parcourt cet ensemble partagé entre curiosité et embarras, peinant à approcher un peu de l’essence qui fit de Montreux un lieu si particulier: à la fois fiévreux et bienveillant, déraisonnable et à hauteur d’homme. Et puis vient l’instant contemplatif qu’on espérait, et qui s’impose finalement quand un triptyque vidéo s’allume derrière nous, offrant de contempler une vue muette du Léman capturée depuis le bureau de Claude au Picotin. L’éternel de ce qui fut imaginé dans ce bout du monde y est traduit dans la simplicité d’un coucher de soleil.


«Montreux. Jazz depuis 1967», Landesmuseum, Zurich, jusqu’au 21 mai.