Los Azulejos, Beethoven à la sauce flamenco
Musique
Un quintette d’étudiants de l’EPFL musiciens amateurs ont revisité le troisième mouvement de la «Sonate au clair de lune». «Feelgood», entraînant et entêtant: la Toile en redemande...

C’est un simple e-mail envoyé en janvier à la station de musique classique anglaise Classic FM qui a tout déclenché. Pour signaler qu’au cœur de la Suisse, au bord d’un campus désert et morose, un petit ensemble d’étudiants fous de musique avait enregistré une version un peu revisitée du 3e mouvement de la Sonate au clair de lune, un peu hispanisante, un peu latine. Classic FM voudrait-elle tendre une oreille?
La réponse n’a pas tardé. Quelques jours plus tard, la vidéo des Lausannois cartonnait sur la page Facebook de la station anglaise, avec plus de 500 000 vues, des milliers de partages et de commentaires enthousiastes. Réarrangé avec picados, cymbale crash et transitions allègres, interprété avec passion et filmé dans la lumière dorée d’un salon chaleureux peuplé de tableaux et de tapis, le morceau communique un plaisir certain. De quoi alerter le radar de France Musique, qui, séduite à son tour, diffuse l’enregistrement. De nombreuses pièces classiques se prêtent étonnamment bien aux adaptations rythmées. Mais qui aurait deviné que le presto agitato beethovénien rimait aussi bien avec flamenco?
Mozart à suivre
Los Azulejos. Ils scintillent ensemble, à la manière des carreaux de faïence décorés et vernis qu’on trouve en Andalousie, au Portugal ou au Maroc et dont ils portent le nom. Il y a Albane Descombes à la basse, David Sánchez Del Rio, Eric Willimann et Simón Prêcheur Llarena à la guitare, et Didier Yourassof aux percussions – avec un S plus mérité que jamais, entre cajón, tambourin, shakers et bongos. Le plus jeune a 20 ans, le plus vieux 27. Leur répertoire est encore récent – le groupe s’est constitué à l’été 2019 – mais il penche clairement du côté latin de la musique; pas de surprise si une des premières productions publiques qu’on déniche à leur nom sur le web est le flamboyant Spain, du regretté Chick Corea.
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Plus précisément, les cinq amis, dont quatre sont passés par la discipline des écoles de musique et conservatoires de France, travaillent à une «fusion flamenco instrumentale, ancrée dans l’héritage européen tout en incorporant des influences d’outre-mer», selon les mots de Simón, le guitariste qui est aussi l’arrangeur-producteur-imprésario et media manager du petit groupe. Lui, qui a déjà fait jouer ses propres compositions plus classiques notamment à Genève, un Carnaval des planètes avec la complicité de l’astrophysicien Laurent Eyer, a de grandes idées pour la suite, avec de nouveaux arrangements qui décoiffent – Mozart pourrait succéder à Beethoven – et de nouvelles pièces originales, à l’ombre de Paco de Lucia, leur maître à tous.
Evasion en musique
A l’ombre aussi de l’EPFL, où tous étudient ou ont étudié. Albane est chercheuse en photogrammétrie au laboratoire d’humanités digitales, Simón achève son master en microtechnique, Eric est diplômé du même master… La question est immédiate – euh, mais comment font-ils, avec le rythme de travail, le stress? «Cela m’a appris à être super-efficace et organisée, explique Albane. D’ailleurs l’EPFL est l’endroit où j’ai rencontré le plus d’étudiants musiciens avec un très haut niveau. La musique nous aide.» La jeune femme a d’ailleurs emménagé en colocation avec d’autres étudiants musiciens de tous horizons, dans une grande maison où chacun joue, avec des styles, des instruments différents; c’est son salon qui a été transformé en tablao le temps d’un enregistrement…
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Une évasion probablement encore plus nécessaire en ces temps d’enseignement à distance à outrance. «Pas facile de combiner les deux, reconnaît cependant Simón. On a beaucoup de travail. C’est pour cela qu’il s’est écoulé plusieurs mois entre l’enregistrement de la Sonate et la production finale…» Micros et amplis bidouillés, enregistrements de qualité professionnelle et mixage aux petits oignons: toute la production a été faite maison bien sûr, grâce aussi à du matériel emprunté à l’association Le Musical de l’EPFL. Quand les talents des ingénieurs se fondent avec la passion de la musique.
Et maintenant? Los Azulejos ont donné quelques concerts l’été dernier, en Suisse et en Espagne, la deuxième patrie de Simón et David. Mais impossible de savoir quand auront lieu les prochains, à cause de la pandémie. C’est sur leur chaîne YouTube et sur Spotify que devra se jouer l’avenir proche. Olé.