Impossible de ne pas penser au conflit en Ukraine à l’écoute du Premier Concerto pour violon de Chostakovitch. Comme l’a rappelé Maxim Vengerov lors d’un concert lundi soir au Bâtiment des forces motrices de Genève (BFM), le compositeur russe a mis sept ans avant de voir ce concerto créé à Leningrad puis à New York en 1955. Une œuvre sombre marquée par le sceau de l’oppression sous le régime de Staline.

Accompagné par le chef Wilson Hermanto et un orchestre ad hoc formé des principaux pupitres de l’ensemble Cameristi della Scala et de nombreux étudiants de la HEM de Genève, Vengerov a fait montre de sa prodigieuse maîtrise de l’instrument. Jouant les yeux mi-clos, ancré sur ses deux pieds, le buste pareil à un tronc, il déploie des lignes étales et organiques dans le Nocturne initial, sous un horizon morne et blafard que suggère la musique. Aucune boursouflure, mais une concentration du propos sur la longueur, par-dessus un accompagnement orchestral (très) ténu.

Un bis pour les victimes de la guerre

Aux sarcasmes du Scherzo succède une longue traversée en solitaire dans le troisième mouvement. Les aigus suspendus, ces pianissimi à fleur d’archet alternant avec des accents éplorés, reflètent bien l’esprit de l’œuvre. Puis vient cette étonnante cadence où le violon construit seul sa destinée, isolé au milieu de l’orchestre, jusqu’aux soubresauts d’un Finale grinçant et ironique, aux assauts martiaux, comme seul Chostakovitch savait le faire. Très applaudi, Vengerov a pris la parole avant de jouer un bis «dédié à toutes les victimes de la guerre en Ukraine». De nouveau, on admire la façon de modeler les lignes dans le poignant Adagio de la Sonate en sol mineur de Bach.

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Dirigeant à mains nues, Wilson Hermanto règle les départs et la mise en place d’un geste aux impulsions énergiques, parfois métrique et vertical. A leur décharge, les musiciens doivent composer avec une acoustique très peu flatteuse qui brouille les pupitres et déséquilibre les rapports entre le soliste et le grand appareil orchestral. Le discours symphonique tend à être morcelé; les pupitres ne composent pas une véritable identité globale, ce qu’une pratique commune plus assidue apporterait très certainement.

Il n’empêche, l’enthousiasme des jeunes musiciens unis à leurs pairs plus expérimentés de la Scala de Milan réserve quelques heureuses envolées dans la Symphonie du Nouveau-Monde de Dvorák comme dans l’Ouverture de La Force du destin de Verdi jouée en bis. On apprécie l’éloquence des bois, l’effort que portent les cuivres à leurs nuances (dans l’Ouverture du Nabucco de Verdi) et la véhémence des cordes dans certains passages. Un work in progress, donc, qui mériterait d’être repris dans une salle à l’acoustique plus adéquate.