Parcours
La Veveysanne est chargée de la programmation du Rocking Chair, mais aussi de la Nox Orae, merveilleux festival de fin d’été

A l’occasion de ses 20 ans, Le Temps propose sept explorations thématiques, sept causes. Durant l’été, nous nous intéressons au boom de créativité qui anime la Suisse depuis quelques années. Cette semaine, une série de portraits de programmateurs musicaux.
Lire aussi:
- David Torreblanca, au service des spectateurs
- Sébastien Vuignier, agent positif
- Jean-Christophe de Vries, la «vraie vie» en concerts
Notre page spéciale:
Lorsqu’elle nous rejoint sur la terrasse de ce grand hôtel veveysan où un bataillon de moineaux est à l’affût des moindres chips ou cacahuètes laissés sans surveillance, elle a encore la tête dans les préparatifs de la fin de l’année scolaire. Maude Paley enseigne deux jours par semaine dans des classes de 1re et 2e année, celles qu’on appelait autrefois les classes enfantines, et il lui faut quelques minutes avant de se reconnecter en mode rock. Car si on a rendez-vous avec elle, ce n’est pas pour parler éducation ou initiation à la lecture. On est là pour évoquer sa double casquette de programmatrice du Rocking Chair (RKC) – un club qui a fêté l’automne dernier ses 25 ans – et du festival Nox Orae, qui à chaque fin d’été investit deux jours durant le magnifique jardin Roussy, à La Tour-de-Peilz.
Ces deux dernières années, Maude Paley a réussi, avec son coprogrammateur Joël Bovy, deux jolis coups: la venue de The Brian Jonestown Massacre puis celle de The Jesus and Mary Chain ont permis à la Nox Orae d’écouler les 1500 billets mis en vente pour chaque soirée. Après six éditions où la viabilité de la manifestation avait constamment été sur le fil, des bénéfices ont enfin pu être provisionnés. Les 31 août et 1er septembre prochains, la neuvième édition du festival accueillera notamment le Californien Ariel Pink, tenant d’une pop psychédélique joliment déglinguée, et les Allemands de faUST, vétérans du krautrock en activité depuis 1971.
«Le pari est risqué, avoue la Vaudoise. Comme on n’a pas eu tous les groupes qu’on voulait, on a décidé, pour plus de diversité, de passer de quatre à cinq concerts par soir. On aura notamment des groupes japonais, brésilien et irlandais.» Pour rester dans les chiffres noirs, la Nox Orae – pour «la nuit du rivage, en latin pas très scientifique», sourit Maude Paley – doit attirer un minimum de 2200 personnes sur le week-end. Au-delà de la proposition artistique, son cadre idyllique sur les rives du Léman de même que sa dimension humaine et conviviale sont de sacrés atouts. Qui est venu une fois à la Nox a forcément envie d’y retourner. Les artistes aussi, qui ont droit à une virée en bateau agrémentée d’un apéro.
Retour à l’université
C’est à la fin des années 1990, après avoir fréquenté ces lieux emblématiques de la vie alternative veveysanne qu’étaient Les Temps Modernes et Le Toit du Monde, que Maude Paley se retrouve embarquée dans une aventure qui la mènera à faire de la programmation son second métier. Alors qu’elle démarre tout juste sa carrière d’enseignante, diplôme de l’Ecole normale en poche, un ami qui cherche un endroit pour fêter ses 30 ans lui propose de rejoindre une petite task force de passionnés désireux de relancer un espace culturel. En 2001, ils inaugurent l’Espace Guingette, qui propose, dans une petite usine désaffectée, de la musique, du théâtre et des spectacles pour enfants. Deux ans plus tard, la Veveysanne décide, tout en continuant d’enseigner à temps partiel, de se lancer dans des études universitaires – histoire de l’art, journalisme et communication, histoire et esthétique du cinéma en branche principale.
A l’Espace Guingette, elle met en pratique la théorie et devient responsable de la communication, son premier poste salarié dans la culture. Dans la foulée, elle prend en charge l’administration, en remplacement de Marie Neumann, engagée à la ville de Vevey, dont elle dirige aujourd’hui le service culturel. A sa grande surprise, Maude Paley se voit alors proposer en 2009 le poste de programmatrice du RKC. «Moi qui n’avais organisé que de petits concerts, je trouvais étrange de m’occuper d’une salle de 500 places. Mais par goût du défi, j’ai essayé. Et je me suis rendu compte que mes années passées dans l’associatif m’avaient beaucoup apporté.» Au Rocking Chair, elle travaille en tandem avec Joël Bovy, qui est administrateur, tandis qu’elle chapeaute la communication et la programmation. Le duo fonctionne si bien que l’année suivante il cofonde la Nox Orae.
Ne pas perdre son identité
Il y a deux ans disparaissait le Pully For Noise, après vingt éditions en dents de scie. A l’opposé, la Kilbi, organisée chaque printemps par le Bad Bonn, à Guin, s’est imposée comme un rendez-vous incontournable en matière de musiques actuelles, peu importe la météo, grâce à son positionnement artistique ultra-pointu. Y a-t-il des leçons à tirer de ces deux modèles? «Réussir à attirer un grand nom, comme les Queens of the Stone Age à la Kilbi, permet de lancer la machine, estime Maude Paley. Mais il faut ensuite éviter de se focaliser sur les grosses têtes d’affiche, ne pas perdre son identité. Payer d’énormes cachets, sans forcément attirer plus de monde proportionnellement, n’est pas un bon choix.»
De même que la Nox Orae (qui fonctionne grâce au bénévolat) est un festival de taille moyenne, le RKC (quatre salariés fixes) est un club du milieu, entre les caveaux intimistes et les grandes structures que sont Les Docks ou Fri-Son. D’où l’importance d’être à l’affût des groupes qui tournent et des talents en devenir afin de les attirer avant qu’ils ne visent les salles de plus de 1000 places. «Le plus dur, dans ce métier, c’est de trouver le bon équilibre permettant de ne pas perdre de l’argent. Car même si nous devons faire appel aux mêmes compétences que celles requises pour le théâtre ou le classique, nous ne sommes pas autant subventionnés.»
Profil
1980 Naissance à Nyon, puis enfance à Chexbres.
2001 Cofonde l’Espace Guingette, à Vevey.
2009 Devient responsable communication et programmation du Rocking Chair, Vevey.
2010 Lancement du festival Nox Orae, La Tour-de-Peilz.
2018 Les 31 août et 1er septembre, 9e édition de la Nox Orae, avec notamment Ariel Pink et faUST.