Classique
L’immense pianiste est venu donner un récital crépusculaire au Victoria Hall

Pour tous les mélomanes, musiciens ou pianistes des trois dernières générations, Maurizio Pollini restera une icône. Sa rigueur stylistique, sa perfection méticuleuse de jeu, sa virtuosité droite et implacable, son art de l’architecture musicale ainsi que sa hauteur de vue artistique ont placé très haut la barre pianistique pendant des décennies. Sa culture, son engagement humaniste et son élévation morale ont achevé de lui créer une aura d’artiste exemplaire.
Un concert exigeant
Le retour lundi à Genève de ce grand monsieur du clavier a évidemment attiré une foule compacte au Victoria Hall, et suscité l’émoi d’une rencontre très attendue. D’autant que c’est dans les trois dernières Sonates de Beethoven (Op. 109, 110 et 111) que le Milanais a choisi de venir en récital, avec en bis les Bagatelles Nos 1 et 4 de l’Op. 126.
A l’issue de ce concert exigeant, un ami cher me soufflait: «J’ai une telle gratitude pour tout ce qu’il nous a donné que je prends congé de lui sur ce sentiment.» Il ne peut mieux exprimer les choses. Car c’est bien de révérence qu’il s’agissait là. Aux deux sens du terme. Celui d’un profond respect teinté d’admiration. Et aussi d’une forme d’au revoir à un interprète d’exception, dont le concert avait des airs crépusculaires.
Flottement général
Maurizio Pollini est une grande âme et un artiste intransigeant, dont on sent toute la volonté de traduire avec force des idées musicales essentielles. Mais la mémoire s’est absentée dès les premières notes, et les doigts maîtrisaient mal les écueils des ultimes Sonates de Beethoven, apogée de son expression pianistique en solitaire. Beaucoup de pédale et un survol digital prudent n’ont pas empêché une sensation de flottement général, à part peut-être dans la structure de la phénoménale 32e, qui a semblé tenir solidement le pianiste entre ses portées.
On gardera de ces deux heures de traversée beethovénienne une fragilité compensée par des moments d’inspiration musicale. Dans ces passages privilégiés, Maurizio Pollini a semblé animé par une vibration sonore qui le menait au-delà des notes et de la temporalité. Pour ces envolées, inattendues de la part d’un cartésien comme lui, on ne peut dire que merci.