Radieuse et discrète. Nancy Rieben, c’est une sorte de doux cocktail à l’effet Kiss Cool, qui illumine et apaise en même temps. A 46 ans, cette musicologue qui pratique le yoga à haute dose, occupe depuis le mois de septembre le poste de coordinatrice de l’enseignement de la Haute Ecole de musique de Genève. «Un poste de facilitatrice», comme elle le dit, censé faire le lien entre la direction, les professeurs et les étudiants. Elle y excelle, sans doute, par sa souplesse d’esprit.

«Le gros défi qui nous occupe aujourd’hui, c’est la révision des masters, qui demande à la fois de repenser la manière d’enseigner la musique et d’être visionnaire pour tenter d’anticiper l’évolution du métier de musicien. Du moins, si l’on ne peut pas le deviner, il faut des cadres suffisamment élastiques pour s’adapter à des réalités futures qu’on ne connait pas encore. Car dans les métiers artistiques, on doit pouvoir faire preuve de discernement et de sensibilité.»

De Chopin à Frescobaldi

La justesse et la mesure des choses, c’est ce qui semble caractériser Nancy Rieben. La genevoise née à Fribourg raconte avoir longuement hésité entre un parcours en médecine et psychiatrie et des études de lettres. Elle choisira finalement la filière musicologie et allemand à l’Université de Genève, en parallèle à sa pratique du piano au Conservatoire. «Je ne viens pas d’une famille de musiciens. La musicologie, c’était une sorte d’os à ronger, car comme je ne connaissais pas grand-chose dans ce domaine, je pensais que cela me tiendrait plus longtemps en haleine.»

A l’université, elle suit les cours «d’un quatuor merveilleux»: Etienne Darbellay, Jean-Jacques Eigeldinger, Brenno Boccadoro et Georges Starobinski. De Chopin à Frescobaldi, la complémentarité de ces quatre professeurs est une alchimie vivifiante pour l’étudiante. C’est du côté de la polyphonie ancienne que la jeune femme voudrait entamer des recherches, plus précisément sur la notation de la musique et le début de l’imprimerie. «La problématique des traces me fascine depuis très longtemps. Comment l’humanité s’organise pour laisser une trace dans un art aussi évanescent par nature que la musique?» se demande-t-elle.

Elle commence un doctorat, puis remplace au pied levé Brenno Boccadoro dans ses cours d’histoire de la musique à la HEM. «L’enseignement est très vite devenu une passion. J’ai un côté généraliste, qui aime toucher à plusieurs choses. J’ai du mal à être dans le micro-détail sans avoir la vision globale au préalable, explique Nancy Rieben. Et puis, je me trouvais bien trop jeune pour avoir des choses essentielles à dire, même si toutes ces recherches m’ont énormément nourrie.» Plus on écoute cette force tranquille, plus on se dit qu’elle semble tirer une leçon positive de toutes les situations.

De l’enseignement à la coordination, il n’y aura alors qu’un pas à franchir, celui d’être à l’écoute de son environnement. «Dans la vie, il y a souvent des convergences, qu’il faut savoir repérer. Les postes se sont toujours présentés à moi sans que je sois obligée de chercher. J’ai tendance à penser que les choses arrivent, lorsqu’elles sont justes pour nous.» Cette écoute particulièrement fine, elle la travaille au quotidien dans sa pratique du yoga.

C’est un genou brisé lors d’un accident de ski qui l’entraîne sur la piste de cette discipline. «J’ai été très longtemps immobilisée, le yoga était une bonne manière de commencer la rééducation. Mais j’étais à des années-lumière d’imaginer faire une formation de yogi et l’enseigner.» Car, actuellement, elle dispense les cours à la HEM pour les musiciens, un cours ouvert au personnel administratif et professeurs.

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«C’est une manière de se croiser autrement qu’à un examen. Le yoga est un excellent outil d’observation de nous-mêmes. Une pratique qui permet de moduler notre place: de la trace qu’on laisse sur cette planète à nos rapports amicaux et professionnels, pratiquer le yoga est une façon de me déposer avec nuance dans mon entourage, en ayant conscience de ce que j’induis autour de moi.» La formule est jolie, et elle colle bien à cette femme aussi énigmatique que sereine, qui semble captivée par la question des traces. Elle, justement, laquelle voudrait-elle laisser?

Les chats de Clara Haskil

«Bizarrement, je souhaite en laisser le moins possible. En soi, ce portrait est déjà étrange, glisse-t-elle avec malice. D’ailleurs, dans l’idée de ne pas laisser de traces, j’oublie toutes les dates.» Et cite Philippe Jaccottet: «L’effacement soit ma façon de resplendir.» Tout cela rend la tentative de portrait plus compliquée. «Mais je suis fascinée par celles et ceux qui en laissent volontairement», reprend-elle.

Pas étonnant qu’elle adore les biographies, Nancy Rieben. «Il y a une sorte d’étrangeté qui s’installe lorsqu’on tente de cerner une personne. En travaillant sur les archives de la grande pianiste Clara Haskil, je me disais que les photos de ses chats et les petits mots que la pianiste écrivait à ses sœurs ne me concernaient pas en tant que musicologue. Mais finalement, n’est-ce pas dans ces traces d’une intimité que l'on peut apprendre le plus sur la femme qu’elle a été ? Plus on cherche à saisir par la recherche biographique un être, plus il nous échappe. Je crois que cette tension me fascine."

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Profil

1976 Naissance à Fribourg.

2004 Enseigne l’histoire de la musique à la HEM de Genève.

2019 Découvre le yoga.

2022 Nommée coordinatrice de l’enseignement de la HEM.


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