Olivia Rodrigo ou le triomphe des cœurs brisés
Musique
Elle a explosé tous les records en janvier avec sa ballade post-rupture «Driver’s License». A 18 ans, la jeune chanteuse confirme son ascension stratosphérique avec un premier album, «Sour», qui dissèque les peines de cœur

Il y a ceux qui ratent leur permis de conduire, ceux qui le passent… et ceux qui en tirent un tube planétaire. A elle seule, Olivia Rodrigo incarne cette troisième catégorie. Impossible d’avoir loupé Driver’s Licence, son premier single: une ballade pop déchirante, états d’âme d’une jeune conductrice sur piano mélodique, beats tumultueux et bips de voiture (enregistrés par sa mère). En début d’année, il percutait les ondes façon camion fourgon.
Et enchaînait les records. Dans les charts américains, dominés huit semaines durant, sur Spotify, où il cumule 17 millions d’écoutes en un jour le 12 janvier (pour approcher gentiment du milliard aujourd’hui), sur Apple Music, numéro 1 dans 48 pays à sa sortie mais surtout sur TikTok, devenu bande-son virale sur laquelle les ados miment une scène du clip, tombant théâtralement sur leur matelas. Tornade vertueuse – en quelques semaines, Driver’s License se mue en hymne pour cœurs brisés de la Génération Z et Olivia Rodrigo, 18 ans à peine, en phénomène. Pas étonnant que la sortie de son premier album, habilement orchestrée dans la foulée fin mai, soit l’une des plus brûlantes de l’année.
Lire aussi: TikTok, nouveau poids lourd de l’industrie musicale
Tsunami émotionnel
Si le monde l’a découvert en pleine pandémie, le virus Rodrigo couvait déjà depuis 2016 sous les projecteurs Disney – ces incubateurs à chanteuses, d’Hilary Duff à Miley Cyrus. Née au sud de la Californie, d’une enseignante et d’un thérapeute familial, Olivia Rodrigo passe par la pub et la figuration avant de rejoindre Los Angeles à 12 ans pour un premier vrai rôle. Celui d’une blogueuse à nattes et à guitare dans la série Frankie et Paige, sur Disney Channel, qui la voit tâter des cordes et du micro.
Une fibre sur laquelle la chaîne capitalise trois ans plus tard en l’intégrant au casting d’High School Musical: La Comédie musicale, la série, sorte de faux documentaire dans lequel des lycéens adaptent en cours de théâtre le film des années 2000. C’est dans ce bouillon de phéromones et devant les caméras qu’Olivia Rodrigo compose un premier morceau, honnête ballade sur la désillusion amoureuse de son personnage, qui fait mouche et conquiert YouTube. Geffen, label du groupe Universal, flaire le potentiel.
A raison. L’actrice veut mettre l’expérience adolescente en musique et, justement, elle vit en 2020 sa première rupture. Un tsunami émotionnel, déchirement et amertume, qui infuse chaque silence de Driver’s License – et le reste de Sour (littéralement «aigre»).
Gros mots
«J’espère que vous apprécierez ces 34 minutes et 46 secondes de moi qui déverse mes tripes», lançait Olivia Rodrigo à ses 10 millions d’abonnés dans un post Instagram le 21 mai dernier. C’est plutôt son cœur blessé qu’elle jette sur la table et dissèque en temps réel, au fil des 11 titres composé par ses soins avec l’aide du producteur Dan Nigro.
La rancœur bileuse d’avoir été dupée dans Traitor, le désarroi devant l’inconstance de son amoureux dans 1 step forward 3 steps back, le regret de s’être fourvoyée pour lui plaire dans Enough for you. Une agonie quasi monothématique, musicalement sage voire répétitive si Rodrigo n’était pas çà et là sortie du cadre mélancolique. En criant sa rage de voir son ex rebondir trop vite dans un bastringue de guitares électriques et d’ironie sur Good 4 U, qui évoque le pop-rock des années 2000 – si Avril Lavigne avait troqué ses mitaines en résille pour des barrettes pastel. Ou en jurant allègrement comme pour arracher d’un coup sec son étiquette Disney – «where’s my fucking teenage dream?» («où sont mes putains de rêves d’ado?») crache-t-elle sur l’insolent Brutal, portrait d’une jeunesse en crise existentielle.
Un cri du cœur jouissif et cathartique, parfait écho au chaos affectif en temps de pandémie et encore amplifié par une variable imparable: la rumeur. Qui pouvait bien s’être rendu coupable d’une telle trahison sentimentale? Internet n’a pas tardé à pointer du doigt Joshua Bassett, acteur de High School Musical: La Comédie musicale, la série, et avec qui Olivia Rodrigo aurait vécu une romance jusqu’en 2020. Une théorie jamais confirmée par les intéressés, mais que sont venues alimenter d’étranges coïncidences. Comme la sortie, dans le sillage de Sour, de Lie Lie Lie, morceau de Joshua Bassett s’adressant à une ex qui «ment comme une arracheuse de dents». Quant à sa nouvelle conquête, l’actrice Sabrina Carpenter (blonde, comme l’amante décrite dans Driver’s License, jubilent les internautes), elle semble donner dans son plus récent titre sa propre version des faits.
L’héritage Swift
Coup marketing, disent les plus cyniques. De l’huile sur le feu assurément – mais un argument insuffisant pour expliquer la déflagration de Sour, qui signe le meilleur démarrage de l’année devant Fearless, réenregistré par Taylor Swift. A l’image de son idole, à qui elle a emprunté une mélodie pour un de ses morceaux, Olivia Rodrigo a le don pour dire le malaise avec simplicité mais précision, délicatesse mais fureur, prouvant qu’un album qui marche est un album vulnérable. Même quand ce qui bout sous la surface est ambigu, indigeste, voire inavouable. «Je suis fière que cet album exprime des émotions difficiles à partager ou pas toujours acceptables socialement, en particulier pour les filles: la colère, la jalousie, la rancune, la tristesse», confie-t-elle au Guardian.
Elle est attachante, Olivia Rodrigo en chantre des cœurs adolescents, de leur faculté à aimer et souffrir plus fort, mais à guérir plus vite aussi. «Je suis tellement plus heureuse qu’au moment d’écrire ces morceaux, précisait-elle il y a deux semaines sur les ondes de la BBC. Mais c’est très cool d’avoir pu faire quelque chose de ces émotions. Et maintenant, je peux regarder en arrière et me dire «Ha-ha! Je ne savais rien!»
Olivia Rodrigo, «Sour» (Geffen).