Ouverture en état de grâce des Athénéennes
Musiques
Le premier festival genevois à rouvrir ses portes a démarré en douceur, mais avec bonheur

L’année confisquée par le covid n’aura pas eu raison des Athénéennes, qui, comme toutes les manifestations culturelles, rebondissent avec vigueur. Premier à rouvrir ses portes jeudi soir à l’Alhambra, le festival pluri-musical avait une raison supplémentaire de résister vaille que vaille: ses 10 ans. Supprimée, l’édition passée n’a pu célébrer la décade. Cette année, la nouvelle rattrape le temps volé, mais pas perdu.
Petite jauge de 100 personnes, tous participants confondus, cela fait peu. C’est pourtant immense en fonction de l’annulation précédente. La bannière «Décadanse» ne pourra pas répondre à la promesse d’une libération corporelle, mais elle claque joyeusement dans les têtes.
Une puissance visionnaire
Pour inaugurer ce onzième cru, la «Grande Fugue» op.133 de Beethoven n’est pas la plus insouciante des partitions. C’est même un des sommets d’âpreté, de puissance visionnaire et de complexité formelle. Le quatuor Zaïde n’a pas eu peur de se lancer dans l’arène avec ce monument auquel manquait le liant d’un ciment solide.
Les archets rêches, les élans bousculés et les arêtes à vif ne suffisent pas à traduire les tourments d’un Beethoven au sommet de sa créativité. L’esprit, parfois, si généreux soit-il, en vient à perturber la forme. Il en a été tout autrement du Quintette pour piano et cordes Op.44 de Schumann, dont le clavier sensible, rond et net de Théo Fouchenneret s’est superbement fondu dans la masse.
Toute d’affection, de douceur, d’hypersensibilité, d’énergie et de force, l’œuvre s’est déployée sous les archets inspirés de Charlotte Maclet, Leslie Boulin, Sarah Chenaf et Claude Augustin Miremont. Un moment de grâce pour introduire l’incroyable prestation d’Andreas Schaerer & Hildegard Lernt Fliegen.
Des hauteurs vocales stratosphériques
Le chanteur suisse alémanique et son groupe de vents, contrebasse et batterie, libèrent une virtuosité étourdissante quand le scat rejoint le rap, la poésie et la fanfare. En atteignant sans complexe des hauteurs vocales stratosphériques, des rythmes époustouflants ou des harmonies moelleuses de chorals, les six compères touchent, sous des éclairages très esthétiques, une autre forme de grâce: celle de la puissance et de l’étonnement.
Le troisième rendez-vous de la soirée, d’une heure lui aussi, et devant une salle à l’audience mathématiquement répartie pour respecter les distanciations, est apparu plus décalé. Le Pierre Omer’s Swing Revue, pêchu et pulsatile, incite à bouger. C’est malheureusement sagement calé dans les sièges que le public a suivi le voyage original de standards ou de créations. Petite frustration…
Lascivité
Avec la venue de la sulfureuse Lalla Morte, danseuse illusionniste fakir amenée sur scène dans une valise, le spectacle a pris un tournant cabaret un rien surréaliste. Deux petits numéros et puis s’en est allée. La lascivité du corps souple a joué à cache-cache derrière de grands éventails de plumes rouges d’autruche puis sur un tapis de verre brisé.
La belle, aux genoux et au dos à peine écorchés, a gardé son sourire et sa sensualité, avec elle aussi la grâce d’une émotion secrète. Celle des grandes retrouvailles. Le public n’a pas caché sa joie, ni l’impatience de découvrir les prochaines propositions qui se dérouleront jusqu’au 11 juin.
Les Athénéennes, jusqu’au 14 juin.
Une soirée tout en contrastes
Samedi soir à l’Alhambra, la diversité était plus fertile que jamais. Pour ouvrir les feux, Takemitsu (Funeral Music), Chostakovitch (très belle Symphonie de chambre OP.110A dirigée sobrement par Diego Matzeuz et trois Concertos pour clavier de Bach. L’OCG, très présent sur les scènes ce week-end, s’est révélé discret derrière le piano d’Audrey Vigoureux, du sage Louis Schwizgebel et du fluide Fabrizio Chiovetta.
Après cette séduisante introduction, le retour du Grand Pianoromax de Léo Tardin a révélé deux formidables jeunes chanteurs: Gaspar Sommer le poétique, et Angelo Powers le physique. Entre des morceaux de leur nouvel album Past Forward et un medley de reprises, le claviériste volubile et le puissant batteur Dominik Burkhalter ont réveillé la salle, avant que le duo interstellaire Aeroflot achève d’y mettre le feu. Le grand prêtre Pol aux consoles, imperturbable Yul Brynner de l’électronique, et Goodbye Ivan, basse et voix hypnotiques, ont rappelé que la grâce se niche aussi dans l’éther musical planant, quand on sait se laisser porter.