Musiques
Le successeur du directeur du Conservatoire populaire de musique, disparu en mars, reprend la ligne de son prédécesseur et entend la développer. Célébration

L’exercice n’est pas facile. Reprendre la succession d’un directeur aimé de tous, respecté par ses pairs, qui a a été à l'origine de mouvements fondateurs dans son institution et a instauré des relations d’une grande humanité pendant quinze ans, voilà qui représente une forme de défi. Philippe Régana relève le pari en douceur, dans l’empathie et la bienveillance. Il avance rondement, sans rien forcer.
Arrivé en poste le 13 août, le nouveau responsable connaît de l’intérieur le Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre (CPMDT) pour y avoir enseigné le hautbois pendant cinq ans. Il se dit évidemment très affecté, comme tous, par la disparition en mars dernier de Peter Minten après un combat de deux ans contre un cancer. L’homme discret n’avait que 57 ans. Son successeur s’ancre avec confiance sur l’héritage laissé, qu’il entend poursuivre, tout en se concentrant sur le présent et l’avenir.
«Continuité créative»
Même si Philippe Régana connaissait assez peu Peter Minten, qui a laissé une «empreinte profonde», le nouveau directeur trouve qu’il a marqué son passage par sa «grande curiosité» de tous et de tout. «Peter forçait l’admiration dans sa façon d’être et de faire, donnant toujours la priorité à une grande liberté qu’il savait formidablement encadrer. Il défendait une pédagogie très humaine et en a diversifié les pratiques. On lui doit aussi d’avoir été un acteur fondamental de la création et du rayonnement de la Confédération des écoles genevoises de musique (CGEM). Je suis fier de lui succéder et essaie d’être dans ce que j’appelle sa continuité créative.»
Au mur, la photo complice de Roland Vuataz (aux rênes de 1975 à 2001) au côté de Peter Minten inspire sa réflexion. Elle montre que la philosophie de la maison «vient de loin» et s’est harmonieusement transmise. L’institution a été conçue à l’origine (1932) pour tous ceux qui n’avaient pas accès aux écoles et conservatoires, enfants comme adultes. La dimension sociale en est le socle. «Le développement de la personnalité artistique de chacun est essentiel. Je préfère cette vision à la notion d’art pour tous. On doit laisser toute sa place à l’élève comme un égal, pas un subordonné. Et respecter ses particularités. Les enseignants n’ont pas le monopole de la connaissance.»
La pluridisciplinarité fait aussi partie intégrante de l’école, comme la collectivisation des pratiques. «Le rassemblement des diversités doit être synonyme d’unité. En aucun cas d’uniformisation.» Un credo qui résonne loin. Mais avant d’envisager l’avenir avec son lot de transformations, l’heure est pour l’instant au souvenir. Première étape: faire son deuil et honorer.
Un artiste polyvalent
L’occasion en sera donnée mercredi à l’Alhambra avec une soirée qui rassemblera les différents pôles d’activité de l’école. Les professeurs débuteront en chœur avant un moment de danse et électroacoustique, de théâtre, une improvisation à quatre clarinettes, instrument que pratiquait le défunt avec une grande sensibilité. Bal renaissance, Fifres et tambours, Big Band, arrangement de film avec 18 musiciens rassemblés sous le nom d’Ensemble Minten, Teaser de l’Orchestre en classe: la célébration sera vibrante, multiple et partageuse. A l’image du disparu. De son côté, Philippe Régana prendra la baguette pour diriger «Der Abschied» du Chant de la terre de Mahler. Une façon de mettre un de ses quatre talents à la disposition de la communauté pour honorer son modèle.
Le musicien, compositeur, enseignant et chef ajoute donc aujourd’hui une nouvelle activité de poids à la pluralité de ses disciplines. Diriger une institution peut sembler pesant. Pas pour l’artiste polyvalent qui envisage ce passage dans une sorte d’évidence. «Pendant tout le parcours de sélection, j’ai défendu mes projets en étant profondément qui je suis. Je me suis dit que si j’étais choisi, ce serait une bonne chose, car l’état d’esprit me correspondrait. Et dans le cas contraire, je pensais que ce serait aussi une bonne chose, puisque ça voudrait dire que je ne pourrais pas me reconnaître dans l’aventure.» Positif, donc. Mais aussi lucide.
«J’ai tout à fait conscience des enjeux et des tâches à endosser pour développer les projets qui me tiennent à cœur. Je me concentre bien sûr d’abord sur le travail organisationnel, pédagogique, politique et financier. Je renonce pour l’instant à mes activités personnelles de direction d’orchestre, de composition ou d’instrument. Français de naissance et de formation, il me faut aussi mieux connaître les mentalités d’ici. Mais j’ai la grande chance d’avoir un compagnon genevois de souche, qui m’accompagne dans l’apprentissage des coutumes locales.»
Concert hommage à Peter Minten, mercredi 28 novembre à 20h à l’Alhambra. Rens: O22 329 87 22, www.cpmdt.ch