Le piano large et éloquent de Nicholas Angelich à Lavaux Classic
Musique
Le pianiste franco-américain et la jeune Géorgienne Tamar Beraia ont ouvert le festival, qui fêtera ses 15 ans mercredi avec une soirée festive sur la place d’Armes de Cully

Deux pianos, deux mondes. Difficile d’imaginer personnalités plus contrastées que Nicholas Angelich et Tamar Beraia. Autant le premier prend possession du piano avec une assise confondante, autant la seconde – une jeune pianiste géorgienne – cherche à dompter son instrument avec une énergie parfois cavalière. C’était jeudi et vendredi soir derniers au festival Lavaux Classic.
Il y a quinze ans maintenant que Jean-Christophe de Vries et son équipe mènent ce festival, appelé initialement Cully Classique. La richesse de la programmation, la mise en scène de certains concerts (les «Nocturnes» éclairées à la bougie), l’accueil dans le bourg de Cully avec ses caves à vin et ses bars expliquent pourquoi la manifestation est devenue un rendez-vous de qualité.
Voix intérieures
Invité déjà une première fois au temple de Cully en 2014, le pianiste américain Nicholas Angelich avait laissé un souvenir éblouissant. Cette fois-ci, il jouait au Théâtre Le Reflet de Vevey, à l’acoustique plus sèche. Dans le choral Nun komm, der Heiden Heiland, de Bach-Busoni, il sculpte le thème à la main droite en timbrant chaque note. Ce qu’il gagne en netteté, il le perd un peu en rondeur. Mais bien vite, le pianiste s’adapte à l’acoustique. Les Fantaisies opus 116 de Brahms sont prodigieuses d’engagement et de poésie. Il fait ressortir les voix intérieures, hiérarchise les plans sonores. Il ponctue le discours de silences suspendus. Et sort ses griffes pour les passages plus emportés.
La sonate Clair de lune de Beethoven mêle quête métaphysique (le premier mouvement) et virtuosité, sans jamais verser dans la précipitation. La 8e Sonate de Prokofiev en seconde partie respire cette même grandeur introspective. Une œuvre labyrinthique, avec des grandes phrases qui se heurtent soudain à des dissonances fracassantes. Rien que le bis – l’Intermezzo opus 117 No1 de Brahms – est une leçon de style. Ce toucher moelleux, ce legato admirable, d’où découlent des mélodies presque infinies, en font un miracle de poésie.
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Le lendemain au temple de Cully, Tamar Beraia se mesurait à deux monuments de la littérature du XIXe siècle. Jouant Liszt en première partie, elle empoigne la Grande Sonate en si mineur avec force. Si elle en maîtrise l’architecture globale, elle a tendance à s’emballer dans certains passages et confond vitesse et intensité (la section «fugato»). Son jeu recèle pourtant des instants de magie avec des traits cristallins. Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski souffrent des mêmes défauts. Dès les premières notes de la «Promenade» (la pièce introductive), le toucher paraît martelé, voire brutal. «Gnomus» et «Bydlo» dégagent une belle puissance, mais à nouveau, certaines pièces sont jouées avec une volonté de s’affirmer qui déteint sur la musique.
Soirée festive
Lavaux Classic, ce sont donc aussi des «Nocturnes». Jouant à la lueur de chandelles vendredi soir au temple de Cully, le Quatuor Voce avait choisi le Quatuor à cordes en ré mineur KV 421 de Mozart et les Métamorphoses nocturnes de György Ligeti. Si ces jeunes musiciens font preuve d’une belle sensibilité, leur Mozart – velouté, un peu plat – manque de relief. Le quatuor de Ligeti est plus énergique, mais ils peinent à imprimer une tension globale et continue d’un bloc à l’autre.
Lavaux Classic accueillera cette semaine le très aimé Alexandre Tharaud (ve 22) et le pianiste accompagnateur Helmut Deutsch (je 21). Il célébrera ses 15 ans avec David Grimal et l’ensemble Les Dissonances, lors d’une soirée festive mettant en résonance les Quatre Saisons de Vivaldi et celles de Piazzolla sur la place d’Armes de Cully (me 20). A la fois sérieux et convivial, le plus grand des petits festivals classiques s’affirme comme l’un plus captivants du moment.
Lavaux Classic, jusqu’au 24 juin.