Depuis qu’il a raflé à 20 ans tous les prix du Concours Chopin de Varsovie en 2005, Rafal Blechacz mène une carrière discrète et sans faute. Remporter le prestigieux Gilmore Artist Award neuf ans plus tard n’est pas non plus monté à la tête du jeune Polonais. Le pianiste avance avec une rigueur, un sérieux et un perfectionnisme qui imposent le respect. D’autant qu’il a déjà pris le temps de l’approfondissement en s’autorisant une année sabbatique pour achever une thèse de doctorat sur la philosophie de la musique…

Cette conscience aiguë de son art, Rafal Blechacz la traduit de la tête aux doigts. Attitude droite et salut d’automate, mains bien pommées sur les touches, doigts hauts, articulation précise, attaques imparables, sonorités et dynamiques finement variées: le pianiste maîtrise un jeu d’une absolue clarté.

Une science stupéfiante du raffinement

Le programme qu’il est venu défendre au Victoria Hall, en remplacement de Murray Perahia souffrant, est un exemple d’équilibre et de classicisme tout à son image. Mais ce qui saisit, c’est l’arche qu’il dessine entre Mozart (Rondo KV 511, Sonate no 8, KV 310), Beethoven (Sonate op. 101), Schumann (2e Sonate) et son compositeur d’élection, Chopin (les quatre Mazurkas op. 24 et la Polonaise op. 53). Avec l’Intermezzo op. 118 no 2 de Brahms donné en bis, Rafal Blechacz porte à son sommet une science stupéfiante du raffinement.

Comme un mathématicien, qui pousse sa discipline aux confins de la pensée, l’artiste conduit la poésie jusqu’à l’impalpable. Des touchers suspendus mais incarnés, des tempi lents mais toujours en mouvement, des lignes internes éclairées une à une dans une lumière d’ensemble ronde et tendre: tout est dans tout.

Grand maître à venir

Mozart, solaire et affectueux, chante comme Chopin. Schumann, pyrotechnique, rugit comme Wagner. Beethoven, avant-gardiste, déferle comme Liszt. Et Brahms, attendri, les salue tous en douceur.

Rafal Blechacz peut tout jouer. Sa technique est brillante, sans aucune ostentation. Mais surtout, sa hauteur supérieure de jeu, son contrôle au milligramme de chaque note, son raffinement de coloriste, son génie narratif et sa palette de dynamiques, parfois dures mais toujours justes, en font déjà un maître. Un grand à venir.