Classique
Pourvue d'un nouveau premier violon, la formation pragoise a donné un très beau concert dominé par Chostakovitch et Dvorák, vendredi soir au Conservatoire de Genève

Près de quarante ans de carrière, ce n’est pas rien! Fondé en 1974 au Conservatoire de Prague, le Quatuor Prazák est l’un des quatuors les plus réputés du circuit international. Terrassé par cette terrible maladie qu’est la dystonie, le premier violon Václav Remes – poste clé d’un quatuor – a quitté ses collègues pour se faire remplacer par Pavel Hula en 2010, puis par une jeune femme l’an dernier. Le nouvel attelage marie donc la nouvelle génération (Jana Vonásková) aux trois autres membres fondateurs.
Vendredi soir au Conservatoire de Genève, on a pu constater à quel point l’esprit de l’ensemble tchèque n’avait pas foncièrement changé. Le son est assez symphonique, plutôt nourri. Le violoncelliste Michal Kanka (sonorité chaude et pénétrante) reste le pilier de l’ensemble, marquant les appuis rythmiques et la ligne de la basse, y compris dans le Quatuor en ré majeur KV 499 «Hoffmeister» de Mozart qui ouvrait la soirée.
Derrière la simplicité apparente, des trésors de contrepoint
Cette œuvre (publiée isolément) n’a peut-être pas la séduction immédiate du Quatuor «Les Dissonances», mais la simplicité apparente cache des trésors de contrepoint. Le Quatuor Prazák se situe aux antipodes d’ensembles (comme le Cuarteto Casals) qui s’inspirent des instruments d’époque. Chaque membre fait ressortir ses lignes mélodiques dans le dense tissu polyphonique, entre l’énergie un peu rude du «Menuetto» et la délicatesse de l'«Adagio». On peut souhaiter plus de raffinement dans le son (quelques outrances), mais stylistiquement, cette interprétation forge un bel équilibre entre les quatre instruments.
Avec le 14e Quatuor en fa dièse majeur de Chostakovitch (datant de 1972-73), on entre dans un univers beaucoup plus sombre que sert magnifiquement le Quatuor Prazák. La partie de violoncelle domine cette partition aux ambiances lugubres et désolées. Mais il y a aussi ce ton faussement guilleret teinté de désillusion qui caractérise le premier mouvement, typique de Chostakovitch. Le premier violon Jana Vonásková – à nu – tisse un très beau dialogue avec Michal Kanka (au son extrêmement dense) dans le poignant «Adagio». Ce mouvement central est enchaîné sans interruption au finale, aux traits de plus en plus âpres et saccadés, avant que le discours ne s’épure à nouveau, pour aboutir à un dépouillement extrême.
Plus souriant, le Quatuor No 10 en mi bémol majeur op.51 de Dvorák séduit par ses accents slaves dans la «dumka» et un lyrisme chaud et subtil, presque italianisant, dans la «Romanza». On a beau relever quelques écarts d’intonation, on apprécie l’homogénéité sonore. Et puis le finale est enjoué, imprégné d’un folklore coloré. Très applaudis, les musiciens donnent la Valse Opus 54 No2 de Dvorák en bis, pièce chaloupée et entraînante.