Le Quintette à deux violoncelles de Schubert, avec son sublime «Adagio». Cette œuvre a quelque chose d’immortel. Achevé deux mois avant de mourir, en septembre 1828, ce monument de la musique de chambre a inspiré de beaux commentaires, notamment de la part du pianiste Arthur Rubinstein, qui y voyait la plus belle musique pour quitter ce monde terrestre.

Le Quatuor Ebène et le violoncelliste français Gautier Capuçon viennent d’enregistrer l’œuvre qu’ils promènent en tournée. Ils seront mardi prochain à la Salle de Musique de La Chaux-de-Fonds pour un concert où ils joueront aussi le Quatuor à cordes en do majeur op. 20 n°2 de Haydn et le très beau Quatuor en sol mineur de Debussy. Rencontre avec le violoncelliste du groupe, Raphaël Merlin.

Le Temps: Depuis quand jouez-vous le «Quintette» de Schubert?

Raphaël Merlin: Nous l’avons beaucoup joué, depuis 2001 ou 2002, et chacun d’entre nous l’avait déjà travaillé séparément au travers de ses études. C’est une œuvre très exigeante, mais facile d’accès pour le public. Les gens qui l’entendent pour la première fois sont particulièrement touchés. Il y a un effet spécial avec ce Quintette.

- Vous l’avez interprété avec d’autres violoncellistes que Gautier Capuçon?

- Oui, la liste est longue! On a dû le jouer avec une vingtaine de violoncellistes. A chaque fois, ce nouveau violoncelliste apporte un nouvel éclairage. La partie de violoncelle 2 – celle qu’on donne au musicien invité – est une partie où le placement rythmique, l’éclairage général de l’œuvre, surtout dans le mouvement lent, sont déterminés par ce cinquième homme.

- Comment abordez-vous le travail en répétition?

- La musique de chambre, ce sont des instrumentistes qui font un dialogue, une grande conversation, comme cinq personnes autour d’une table à dîner. Il faut que les cinq se sentent libres de prendre la parole. Avec Gautier, il y a cette puissance et cette précision tout à la fois qui donnent une force explosive dans certains moments. Il a montré une capacité de dévotion, de compréhension de l’esprit du quatuor qui a été immédiate. Sur scène, à lui tout seul, il arrive à nous mettre à l’aise. Et c’est un très bon camarade.

- Pourquoi avoir attendu si longtemps pour enregistrer ce «Quintette»?

- C’est le genre d’œuvre qui demande un double exercice. Il faut d’une part se donner entièrement, investir une grande profondeur émotionnelle, d’autre part attendre quelques années de l’avoir beaucoup jouée sur scène pour bien la connaître. Le bénéfice de l’expérience peut induire l’inconvénient du trop connu, d’une forme de routine. Il nous fallait retrouver l’énergie de la première fois, ou en tout cas l’incroyable découverte de cette œuvre.

- Vous avez changé d’altiste il y a bientôt un an et demi maintenant. Comment Adrien Boisseau s’est-il intégré à l’ensemble?

- Adrien a dix ans de moins que nous. Il est extrêmement réactif et doué. Il est parfois nécessaire de discuter pour se mettre d’accord sur des options très fortes: comment le tempo doit évoluer, par exemple. Une fois qu’on est sur scène, il arrive à emmener le quatuor en entier dans le sillage de son énergie. C’est absolument troublant, parce que la vie de quatuor, c’est comme une vie de famille. C’est comme si un nouveau frère était entré dans la fratrie.

- Au point de bouleverser le son du Quatuor Ebène?

- L’identité sonore d’un quatuor, c’est beaucoup le son du premier violon, les inflexions de phrasé, donc il est possible que ça ne se ressente pas tant que ça. Mais l’alto a un rôle tellement central. Un vieux professeur américain disait: «L’alto, c’est le ventre du quatuor.» On a donc changé de ventre!

- Vous-mêmes, vous sentez une évolution?

- Ce n’est pas tant la musique qui change, et l’on ne joue peut-être pas mieux qu’auparavant, mais nous avons grandi, mûri. On a d’autres envies, d’autres attentes, et on veut les satisfaire. C’est inépuisable, la musique de chambre. Il y a toujours des choses à retravailler, y compris trois ou quatre heures avant un concert.

- Vous atteignez un autre niveau de profondeur?

- La musique, c’est un ensemble de sensations, de réflexes physiques. Comme on a ce rapport très physique et très plastique à l’instrument – c’est presque de l’ordre de l’hygiène sportive – on a tous les jours des microsensations nouvelles qu’on a envie d’utiliser. C’est comme si on apprenait à nous découvrir de manière très lente. Et ça peut prendre des décennies. Voyez Yehudi Menuhin: il ne jouait pas de la même manière le Concerto pour violon de Beethoven à l’âge de 15 ans, 35 ans ou 75 ans.


Le Quatuor Ebène et Gautier Capuçon à la Salle de Musique de La Chaux-de-Fonds. Ma 26 avril à 20h15. http://musiquecdf.ch/