A l’occasion de ses 20 ans, Le Temps propose sept explorations thématiques, sept causes. Durant l’été, nous nous intéressons au boom de créativité qui anime la Suisse depuis quelques années. Cette semaine, une série de portraits de programmateurs musicaux:

Notre page spéciale:

La créativité suisse

Quand il nous rejoint dans le quartier du Flon lausannois, en ce matin où la chaleur succède aux pluies, rien dans l’attitude de Raphaël Nanchen ne laisse supposer des tensions. Affable, d’un cool salutaire, portant veste de cuir sur t-shirt noir, l’enfant d’Icogne nous salue comme si de rien n’était. Avant que son téléphone ne sonne. En cascade. En préparation du Sublime Festival, programmé les 25 et 26 août à Crans-Montana, presque à domicile, le Valaisan, 40 ans, demeure sur la brèche, mais reste zen. «J’ai appris combien l’angoisse ou le stress n’apportent aucune solution.»

La première fois qu’on a rencontré «Raph», c’était dans une «autre vie», comme il le dit, quand cet élégant solaire coprésidait encore au destin du Caprices Festival, créé en 2004. Une drôle d’initiative: malgré les rares tentatives ayant précédé (le Leysin Rock Festival durant les années 1980), aucun rendez-vous musical d’importance en station n’existait encore. «Ce projet est né de mon mémoire de fin d’étude à la HEC [Faculté des hautes études commerciales, ndlr] de Lausanne, se souvient-il. J’avais imaginé un événement musical en montagne inspiré du Festival du film fantastique d’Avoriaz. Une fois ma note obtenue, j’ai réalisé que nous disposions là de tous les outils pour créer ce rendez-vous: business plan et budgets.» Mais par où commencer? A 24 ans, Raphaël Nanchen est étranger à l’industrie musicale. Avec un de ses associés engagé dans une étude d’impact sur les retombées économiques du Montreux Jazz Festival, il vient glaner quelques conseils auprès de Claude Nobs.

«Bordélique, mais miraculeuse»

«La démarche de Caprices était assez proche de la sienne, quarante ans plus tôt, avance-t-il: fonder un événement culturel dans un lieu assoupi afin d’en rajeunir l’image et d’attirer là une nouvelle clientèle. Le projet a finalement emballé Nobs. Il nous a parrainés.» Et Caprices de se lancer sous la mise en garde de professionnels pour qui ce rendez-vous, visionnaire à bien y regarder aujourd’hui, ne pouvait que se planter. Mais comment les blâmer? Sur le papier, les seuls frais d’infrastructures d’un tel rassemblement sont 30 à 40% plus cher qu’en plaine. «Peu comprenaient encore combien ce type de festival peut dynamiser des périodes creuses dans des stations où le tourisme classique a atteint ses limites», explique Raphaël Nanchen. Et de se souvenir alors d’une première édition de Caprices «bordélique, mais miraculeuse»…

A une époque, j’avais des scrupules à admettre que la musique était devenue mon métier

Huit éditions plus tard, confronté à des divisions internes, il quitte ses fonctions au sein du raout valaisan. «A cette époque, j’avais également des scrupules à admettre que la musique était devenue mon métier», confesse-t-il. Entre-temps brièvement passé par la finance («j’y ai compris que l’intérêt d’un travail se situe bien au-delà de l’argent que l’on peut gagner»), le fils de Gabrielle Nanchen – plus jeune des femmes élues au Conseil national en 1971, année de leur éligibilité – fait bientôt une rencontre déterminante: Bastien Kaltenbacher, dit «Baker», 19 ans, auteur-compositeur-interprète, aussi hockeyeur et étudiant vaudois, devenu le protégé de l’entrepreneur Patrick Delarive. A «Raph» d’assurer son management.

Un couple bien connu

«On était tous novices, se souvient-il, mais portés par une envie folle. Très vite, probablement parce que nos valeurs sont infiniment proches, Bastian et moi, on s’est liés, jusqu’à déteindre l’un sur l’autre», rigole-t-il. Le couple Nanchen-Baker est aujourd’hui bien connu, en Suisse romande et au-delà. Inséparable, la paire détonne par son indiscutable complicité. Dans un business musical où les liens entre un artiste et son manageur se traduisent parfois par un pragmatisme froid, eux affichent toujours leur puissante unité. «Son job, c’est d’écrire des chansons, de les interpréter et d’assurer leur promo, explique Raphaël. Le mien, c’est de gérer tout le reste. Mais notre lien a largement dépassé ce seul cadre. Durant sept ans, Bastian est la personne que j’ai le plus fréquentée, lui accordant parfois plus d’attention qu’à mon propre couple. Depuis, j’ai appris à distinguer mon travail de ma vie privée.» Et le résident lausannois d’entreprendre au cours des derniers mois de nouveaux projets qui n’incluent pas forcément son protégé.

C’est Polaris, beau festival électro aux airs d’«Ibiza sous la neige», fondé en 2015 à Verbier avec le DJ techno Mirko Loko. «Ces shoots d’émotions me manquaient, concède Raphaël Nanchen. Avant que les portes n’ouvrent, tu es dans les galères, te demandant: mais pourquoi je m’inflige tout ça? Puis ça débute et tu oublies soudain tout le reste. Le succès espéré? Générer des sourires autour de toi.» Un goût du grand frisson qui le pousse maintenant à façonner un autre rendez-vous, en été et là d’où il vient: ce Crans-Montana où le Sublime Festival fait renouer le Valaisan avec la nature exaltée dans laquelle il se perdait, mouflet. «Je veux proposer au public de découvrir ces paysages que j’aime, entre musique live et arts visuels. Notamment ce lieu magique situé près d’un lac, où on créera un open air durant deux jours.» En tête d’affiche: Barbara Hendricks et… Bastian Baker.


Profil

1978 Naissance à Sion, enfance à Icogne.

2004 Cofonde le Caprices Festival à Crans-Montana.

2010 En décembre, un an après avoir quitté Caprices, devient manageur de Bastian Baker.

2015 Première édition du festival Polaris, en décembre à Verbier.

2018 En août, première édition du Sublime Festival à Crans-Montana.