Bizarre ambiance. Renaud Capuçon arrive sur scène muni de son violon Guarnerius del Gesù; il est salué silencieusement par les musiciens de l’Orchestre de chambre de Lausanne à ses côtés. Pas d’applaudissements dans la salle plongée dans la pénombre. Des caméras sont placées aux abords de l’estrade, sur les balcons du Métropole et à même le parterre où le public est habituellement présent. Seules quelques rares personnes – professionnels et membres du conseil de fondation – ont été autorisées à assister à ce «concert fantôme».

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Face aux mesures imposées par l’Office fédéral de la santé publique en raison du coronavirus, les deux concerts de Renaud Capuçon et l’OCL ont été interdits d’accès au public mercredi et jeudi. Ces soirées – marquant les débuts du violoniste comme chef d’orchestre – affichaient complet et dépassaient le seuil des 1000 personnes autorisées.

Acoustique plus réverbérante

Mais voilà qu’a jailli une idée de génie: filmer le concert de mercredi soir pour le diffuser le lendemain à la télévision (RTS 2) et retransmettre le concert en direct jeudi sur les ondes d’Espace 2 afin de permettre aux auditeurs – et autres mélomanes potentiels, y compris ceux des pays de l’Union européenne – de goûter à la musique comme ils le font habituellement.

«Quand je suis entrée dans la salle qui était sombre, j’ai eu l’impression de jouer pour un enterrement», relate une violoniste de l’orchestre. Pour le soussigné, qui assistait au concert filmé, la performance s’apparentait à une séance d’enregistrement sans filet. Le concert a commencé par les deux Romances pour violon de Beethoven. En l’absence du public, l’acoustique du Métropole est plus réverbérante qu’habituellement. Le violon de Renaud Capuçon – son fameux Guarnerius del Gesù, ou «Panette» – projette beaucoup dans la salle: c’est un son ample et lumineux. Son jeu très legato s’inscrit dans la tradition des violonistes passés, avec une dramatisation de la section en mineur dans la mélodieuse Romance en fa majeur.

Renaud Capuçon esquisse déjà quelques gestes de chef d’orchestre tout en jouant. D’abord face à la salle, comme si l’audience était là, il se retourne furtivement vers les musiciens pour leur signifier des intentions. Il joue la Romance en sol majeur avec ce même soin porté au beau son, mais on souhaiterait plus de variétés dans les inflexions et les nuances. Une approche plus «romantique» que «classique» du XVIIIe siècle.

Applaudissements fictifs

Puis vient le Concertone KV 190 de Mozart, une œuvre de jeunesse très bien faite, au style galant quelque peu superficiel. François Sochard (premier violon de l’OCL) et Renaud Capuçon dialoguent sur le devant de la scène, tandis que le premier hautbois solo Beat Anderwert cisèle avec art ses interventions. On sent une belle collégialité parmi les musiciens, le violon de François Sochard – moins brillant mais remarquablement stylé – répondant à celui de Renaud Capuçon, toujours aussi chantant et lumineux.

A nouveau, les musiciens de l’OCL esquissent des applaudissements fictifs en agitant leurs archets à la fin de chaque œuvre! Une façon de mimer le rituel du concert classique.

Après un entracte d’une quinzaine minutes, Renaud Capuçon monte sur l’estrade avec une baguette de chef. Il empoigne la Symphonie inachevée de Schubert avec un certain souffle, cherchant à conférer une ligne à l’œuvre. Sa gestique est naturelle, un peu agitée par instants (sans l’indépendance des deux bras qui s’acquiert après des années d’expérience), mais elle épouse le cheminement des phrases. Les cordes sont belles et revêtent un certain soyeux, les cuivres étant davantage laissés à eux-mêmes.

Pas de surenchère

Le développement central du premier mouvement pourrait être plus effrayant encore mais au moins il évite la surenchère qui guette tout débutant. Il capte le côté élyséen du second mouvement, surligne un peu les contrastes dans les accents pathétiques. Quelques imprécisions émaillent l’exécution – pourrait-on lui en vouloir?

Les cimes métaphysiques viendront plus tard. Pour l’heure, Renaud Capuçon se laisse porter par la musique et on ne peut que le féliciter d’avoir exaucé ce vieux rêve. Ces débuts sont prometteurs et il ne manquerait plus qu’une salle pleine pour l’encourager à aller plus loin!


Concert en direct, jeudi 5 mars dès 20h sur Espace 2; diffusion en différé à 22h sur RTS 2.