«Le «Requiem» de Verdi commence et se termine dans le silence»
classique
Le chef italien Gianandrea Noseda s’exprime sur la messe des morts de Verdi, à l’occasion de son concert donné à Verbier jeudi soir
«Le «Requiem» commence et se termine dans le silence»
Gianandrea Noseda s’exprime sur la messe des morts de Verdi à l’occasion de son concert donné à Verbier jeudi soir
Samedi Culturel: Quelles sont les difficultés du «Requiem» de Verdi?
Gianandrea Noseda: Ce n’est ni de l’opéra ni une œuvre sacrée, mais il y a des éléments des deux langages. Il faut avoir confiance en la musique, suivre ce qu’elle nous dicte à l’instant même où on la dirige au concert, être flexible et disposé à changer ses idées si la musique nous emmène dans une région émotionnelle ou une atmosphère différente. Ce Requiem est un «unicum» dans la production de Verdi: c’est sa seule messe, sans oublier les Quattro pezzi sacri écrits à la fin de sa vie.
Comment situer le «Requiem» par rapport à son œuvre opératique?
Verdi a composé le Requiem après Aïda, un chef-d’œuvre où la parole prend une valeur scénique – au-delà de la beauté de l’aria – et permet de faire avancer l’action. Chaque note est d’une importance capitale chez le Verdi de la maturité, surtout dans ses dernières productions opératiques. Verdi n’aimait pas gaspiller son temps. Il y a une urgence dans sa musique, dans le sens où il allait à l’essentiel. C’était un homme très fort, généreux, honnête, pas toujours facile quand il s’agissait de traiter avec lui, mais aussi incroyablement profond, ce que montre son Requiem.
La trajectoire même de l’œuvre est saisissante, avec des contrastes permanents…
Le Requiem commence dans le silence et se termine dans le silence, avec un gigantesque «diminuendo» à la fin du «Libera me». Au début de l’œuvre, la limite devrait être très ténue, presque imperceptible, entre le silence d’où émerge la musique et le son. Dans la partition, Verdi indique «sotto voce» pour la première intervention du chœur: «Requiem». C’est murmuré, comme le son des fantômes ou des âmes mortes. Puis, après sept ou huit minutes, survient la grande explosion du «Dies irae», le jour du Jugement dernier, avec les trompettes. C’est bien sûr très théâtral, presque effrayant.
C’est difficile de réaliser ce déferlement sonore?
La quantité de son produite est énorme, bien sûr, mais pas seulement pour suggérer toute la puissance que peut générer un orchestre. Verdi savait passer du pianissimo le plus impalpable au cri le plus viscéral pour des raisons dramatiques. Le «Libera me», à la fin de l’œuvre, est comme une supplique, avec ces mots, «Libera me», qui reviennent sans cesse. D’abord, il y a cette demande, investie de volonté, à Dieu, ensuite, l’espoir d’être exaucé, puis l’abandon même de la demande, comme un épuisement de ses forces. Peu importe le résultat. La demande a été formulée: «Libera me, Domine.»
Quelle est votre vision du «Requiem»?
C’est une œuvre très bien conçue, avec des parties de solistes et des pièces chorales très exigeantes – le «Sanctus» est une double fugue! Mais je ne l’envisage pas simplement comme une cathédrale. C’est une trajectoire émotionnelle: il y a l’angoisse, l’amour, la haine. Je veux que cette cathédrale touche au plus profond de l’âme humaine. Propos recueillis par J. S.