Partir pour les mondes parallèles, oui, mais en veillant à ce que chacun, féru de jazz ou béotien hip-hopisé, puisse être du voyage. Il y a du missionnaire et peut-être du gourou chez ce binoclard à la calvitie précoce, qui met en confiance par la chaleur maternelle d’une sonorité qui vous semble aussi familière que vos plus secrets souvenirs d’enfance, avant de vous embarquer dans des délires alambiqués à la Borges ou à la Cortázar. Bref, quelqu’un qui a les moyens de vous faire boire ses paroles/ses notes et de vous faire dire sur votre compte ce que peut-être vous n’auriez dévoilé à personne d’autre. Psychanalyse ou confession, c’est selon, mais on vous parle d’un disque à haute teneur spirituelle.
Stylistiquement, un saxophoniste ténor de la Guadeloupe croise forcément sur son parcours le Sonny Rollins des jours ensoleillés, l’intarissable enfileur de chorus ivres sur fond de rythmes chaloupés. Sur ce modèle attendu Schwarz-Bart a l’intelligence de ne pas s’appesantir, préférant poursuivre ce qui à travers son souffle cesse d’être une chimère: la synthèse – on ne parle pas de collage – entre la volubilité dense de Charles Lloyd, la raucité hérissée de Bennie Wallace, le spirit (ual) isme fantomatique de Wayne Shorter, voire à l’occasion («Lullaby From Atlantis») la sensualité hédoniste de Stan Getz. L’homme, on le sait depuis ses collaborations remarquées avec Ari Hoenig, Danilo Perez, le Roy Hargrove de RH Factory, connaît ses classiques aussi bien que ses excentriques. Ce qui est nouveau, c’est qu’il sait mettre cette prodigieuse culture saxophonistique au service d’un disque où elle n’est pas loin de s’annuler dans un rejet de toute filiation stylistique trop clairement identifiable: un disque de la maturité, comme on dit dans ces cas-là, où rayonne le bonheur tranquille de dire «je» sans piétiner les autres.
On trouve au cœur de ce je (u), comme pour en souligner la portée fraternelle, une recherche de conciliation, d’union des contraires, qui fait naître l’apaisement du chaos, la fougue de la sérénité. «Rêver en restant éveillé», c’est une définition possible de l’hypnose, dont le saxophoniste use sur un mode le plus souvent léger (les mélopées dans l’esprit de Dollar Brand de «Dlo Pann», «It’s Pain», «Voir»), plus rarement incantatoire («Massassoit» où Baptiste Trotignon se range résolument du côté des pianistes de la transe). En Thomas Bramerie, Hans Van Oosterhout et bien sûr Trotignon, Schwarz-Bart a trouvé des partenaires au diapason de son idéal: une osmose qui rend possible l’exceptionnelle porosité des rêves à laquelle on assiste dans ce disque oniriquement transgressif.