Richard Gyver, l’adorateur absolu d’ABBA
Portrait
Dans son garage, il y a 10 répliques des costumes du mythique groupe suédois et il vient de réaliser un clip vidéo en leur honneur. Une vie qui tourne autour de Frida, Agnetha, Benny et Björn

Il y a dix ans de cela, il était sur un vol à destination de Stockholm. Non pas comme passager mais en qualité de steward. Il devait assurer la vente à bord en classe économique. Mais pour une raison qui aujourd’hui lui échappe, une de ses collègues lui demande de la remplacer en cuisine. Le voilà donc poussant le chariot des repas de la classe business. Il ouvre le rideau, le referme derrière lui. Et tombe soudainement sur Frida alias Anni-Frid Lyngstad, une des chanteuses d’ABBA (la brune).
Frida somnole dans son siège. Richard Gyver ose ce petit geste qui entrechoque bouteilles, verres et plateaux. Effet réussi: elle sort de sa torpeur. C’est la quatrième rencontre entre Richard Gyver et celle qui est aujourd’hui comtesse de Plauen et réside à Genolier (VD). Il y a quinze ans de cela, il apprenait qu’elle séjournait à Zermatt. Il loue une chambre, sillonne la station et, un soir, la croise enfin. «Un ange posé là, sur la neige», se souvient-il. Quelques mots, une photo, un autographe. En 1982, c’était à la télévision à Genève: Frida chantait avec Phil Collins. En 1984, c’était au Palais des nations, dans une émission animée par Guy Lux.
«Waterloo», 1974
Des quatre du groupe pop suédois qui s’est séparé en 1982, Frida est sans nul doute sa préférée. «Elle a le même âge que ma mère», rappelle-t-il. Richard Gyver n’est pas un fan. Il n’aime pas ce mot. Il est un passionné. Ça remonte à 1974, et le fameux Waterloo, titre qui permit à la Suède de remporter le concours de l’Eurovision. La chanson très entraînante lui plaît, tout autant d’ailleurs que les paillettes et les tenues de scène écarlates.
Etonnant qu’à 9 ans, on prise ce style-là. Richard était un enfant différent, timide, secret, un peu dans son coin. Végétarien aussi, ce qui semblait alors être une bizarrerie. Le hard-rock, à l’époque, était la musique en vogue. Lui écoute ABBA, ces deux filles et deux garçons dans le vent dont les tubes vont déferler sur l’Europe et la planète entière. «Ils se sont inspirés des Beatles. Leurs airs sont à la fois populaires et d’une grande qualité. La plupart des chanteurs disent qu’il est difficile d’interpréter des titres d’ABBA à cause de la complexité des mélodies.»
Il en sait quelque chose. Il vient d’enregistrer une version électro-pop de Knowing Me, Knowing You, son titre préféré. Des mois ont été nécessaires pour s’approcher au mieux des harmonies vocales. La vidéo qui recrée l’esprit du clip de l’époque a été postée sur YouTube. Gros succès, surtout en Amérique du Sud. Richard Gyver est en effet chanteur. Mais il n’a embrassé cette carrière d’artiste que très tardivement. Il n’osait pas franchir le pas.
A 15 ans pourtant, il passe l’essentiel de son temps dans les coulisses de la RTSR, à Genève. Pour voir les stars, poser en photo avec eux, quêter un autographe. Il ouvre un album, on le voit avec Céline Dion, Véronique Sanson, Michel Berger, Daniel Balavoine, Michel Sardou, etc. Le show-business le fascine. Alain Morisod lui prête une bande musicale, il fait des essais et monte sur scène en 1981 avec Arlette Zola (3e de l’Eurovision en 1982).
Tous deux reprennent un titre d’ABBA. «Je rêvais déjà de faire des versions françaises, dont Mamma Mia», se souvient-il. Les aléas de la vie en décident autrement. Il devient confiseur puis responsable marketing chez Tupperware. Mais ABBA le trace. Il est en formation au Maroc. Un chauffeur de taxi lui dit que Benny Andersson (l’un des quatre, qui fut l’époux de Frida) est à Marrakech. Richard file là-bas et le voit un midi pousser la porte d’un restaurant où lui-même déjeune. «En fait je n’ai rencontré que la moitié d’ABBA, je n’ai jamais croisé les deux autres, Agnetha et Björn.»
Il doit aussi à ABBA sa carrière de steward chez Swiss. Il a parfaitement acquis la langue anglaise en apprenant par cœur toutes les chansons du groupe. Cette maîtrise a été un atout lorsqu’il a posé sa candidature, d’autant qu’il parle quatre autres langues. Avion, voyages, autres villes, autres pays, une vie pleine d’inattendus «et le port de l’uniforme», complète-t-il. Mais il a dû sacrifier sa longue chevelure, que la compagnie a jugée peu conforme aux standards de l’aviation internationale. «J’ai pleuré trois jours», dit-il.
Son garage, un musée
Un jour, il donne son congé parce que ses cheveux lui manquent trop: «J’ai dû voler 30 fois sur New York et marcher autant de fois dans Brooklyn. Un jour j’y suis retourné avec mes cheveux qui avaient repoussé et ce fut un moment de bonheur.» Il dit que sur le tard, il se réalise enfin «en mettant un pied dans le show-business». Il a donné récemment un concert ABBA en Turquie avec une amie chanteuse, part bientôt en République dominicaine. Son garage, à Chavornay (VD), s’est mué en petit musée: posters, photos mais surtout dix tenues de scène posées sur des mannequins. Répliques exactes de celles portées par Frida et Agnetha, qu’il a lui-même confectionnées.
A la demande de Jean-Marie Potiez, biographe officiel d’ABBA, quatre de ses trésors ont été exposés cette année au Musée des musiques populaires (MuPop) de Montluçon, dans l’Allier. Ils viennent de lui être rendus. Ils lui ont beaucoup manqué.
Profil
1965 Naissance à Orbe (VD).
1983 Rencontre avec Frida d’ABBA et Céline Dion.
2008 Steward chez Swiss.
2010 Première réplique des costumes d’ABBA.
2020 Sortie de son premier single.
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