Lorsqu’il pénètre dans la salle de rédaction du Temps, il ne passe pas inaperçu. Roméo Elvis est non seulement grand, mais il possède aussi ce «truc» assez indéfinissable qu’ont les gens connus, cette sorte de nonchalance assumée qui fait instantanément remarquer sa présence. Durant la quarantaine de minutes que durera notre entretien, dans une salle de réunion vitrée, il regardera souvent passer les filles, lui qui nous avouera, tout en évoquant le deuil de son grand-père et la mort d’un ami devant ses yeux, qu’être resté puceau trop longtemps fut pour lui un problème.

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Il est comme ça, Roméo, cash, il n’aime pas les détours, dit ce qu’il pense de manière assez instinctive. Il est dans le fond à l’image de son nouvel album, Chocolat, qu’il considère comme son enregistrement le plus personnel et introspectif à ce jour. Il y a un an et demi, avant un concert lausannois, il nous disait avoir les pieds sur terre, lui qui, après des études de photo, fut un temps caissier pour gagner sa vie. «Ça m’a donné le temps d’apprécier la valeur de chaque chose. Du coup, je n’ai pas peur, je ne me dis pas que demain tout le monde va m’oublier.» Il n’a aucun souvenir de notre rencontre. Tout ce qu’il se rappelle, c’est qu’il avait ce jour-là beaucoup trop fumé.

«Influence de malade»

Le Belge n’a jamais caché qu’il est un gros consommateur d’herbe. Un moyen de supporter les acouphènes qui raccourcissent ses nuits. Il parle de tout cela dans ses textes, comme du fait qu’il a en revanche renoncé à l’alcool. Sur le morceau titre du disque, il lance: «Faut pas commencer le chocolat, et si tu le fais faut toujours être à deux, mon ami j’espère que tu es fort en maths, tu vas pas pouvoir compter sur la beuh.»

Il est conscient qu’il n’est pas forcément un modèle, lui qui est suivi sur Instagram par 1,3 million de personnes. C’est beaucoup, mais moins que sa sœur Angèle, qui a atteint les 2,2 millions d’abonnés. «C’est vraiment une superstar, admet-il non sans fierté. Avec elle, on a une influence de malade, on fait briller la Belgique à l’étranger. Mais sur Chocolat, je voulais montrer que je suis un être humain.»

«Il n’y a que des ombres et des nuages dans ma tête quand j’me retrouve solo», lâche-t-il sur Solo. Dès lors, le mot procrastination ne fait pas partie de son vocabulaire. Entre son passage au Temps et le début de sa tournée automnale, qui passe ce vendredi par l’Arena de Genève, il a tourné son premier film, lui qui rêvait de cinéma avant même d’écrire son premier texte, sous la direction du déjanté Quentin Dupieux, au côté d’Adèle Exarchopoulos. A l’instar du Daim, précédente réalisation de Dupieux, Mandibules pourrait être dévoilé au printemps prochain à Cannes. Le début d’une carrière? Son charisme est tel, avec en outre l’atout d’être hors des canons, qu’on ne serait pas étonné.

Rencontre avec Angèle: «Je ne sais pas trop bien parler, alors je chante»

Mais pour l’heure, il veut simplement être normal, Roméo. C’est du moins ce qu’il rappe sur Normal. «Depuis un an, c’est devenu critique, explique-t-il. Toutes mes sorties sont planifiées. Je fréquente beaucoup moins d’endroits, je suis plus casanier, et quand je suis chez moi je reste caché… Ce sont des choses qu’on n’a pas envie de vivre mais qui vont avec le succès. Même si je crie que je veux être normal, je relativise, car c’est quand même chouette de pouvoir voyager en première classe si on en a envie et choisir son hôtel. Et surtout, c’est chouette comme je l’ai fait de pouvoir se payer un immeuble pour loger les gens qui sont dans le besoin.»

Et d’expliquer qu’il possède à Bruxelles un appartement dans lequel il loge des migrants. Des studios sont actuellement en construction, ils serviront de refuge à ceux qui n’ont nulle part où aller.

Conscience politique

Chocolat voit également Roméo Elvis regretter le passé colonialiste de la Belgique et vomir la montée des nationalismes, comme s’il était soudainement mû par une prise de conscience politique. «Cette prise de conscience est venue bien avant, tranche-t-il. Mais sur cet album, du moment que j’essayais d’être le plus honnête possible dans l’impudeur, il me semblait essentiel de partager également ma vision des choses. Je joue souvent au mec fier de son pays, mais je suis aussi un garçon conscient que nous avons une politique migratoire gênante, de même qu’un passé sur lequel on n’est pas revenu; j’ai pris l’exemple de la colonisation, mais j’aurais pu parler des Waffen-SS et de la collaboration d’une partie de la population pendant la Seconde Guerre mondiale.»

Comme le chanteur, qui se dit bavard, aime parler de tout, on débattra encore des mérites comparés des chocolats belge et suisse, de la manière dont il explore des pistes musicales nouvelles («avec Soleil, j’ai vraiment essayé de faire un tube qui puisse passer en radio»), de l’influence croissante des réseaux sociaux et de la manière dont de jeunes artistes voient leur notoriété grandir avant même qu’ils ne soient montés sur une scène, de sa collaboration avec -M- et Damon Albarn, deux artistes qu’il adorait et que sa maison de disques lui a suggéré d’inviter, de sa passion tant pour le live que le travail en studio. «Je ne dis pas ça pour toi, mais je suis moins fan de la promotion… Mais là, il faut vraiment qu’on remplisse l’Arena!»


Profil

1992 Naissance le 13 décembre, à Uccle, de Roméo Johnny Elvis Kiki Van Laeken. Il a une sœur cadette, la chanteuse Angèle.

2013 Premier E.P., «Bruxelles c’est devenu la jungle».

2016 Premier succès avec l’album «Morale», réalisé par le «beatmaker» Le Motel.

2018 Invité par Lomepal sur le titre «1000°C».

2019 Sortie le 12 avril de «Chocolat», concert à l’Arena de Genève le 15 novembre.