Musique
L’institut basé à Rolle lance une nouvelle saison de concerts dans le Paul & Henri Carnal Hall, bâtiment novateur conçu par l’architecte Bernard Tschumi. La salle comprend 900 places dans des conditions d’écoute de grand confort. Les premiers tests acoustiques s’avèrent très prometteurs. Le chef français Bertrand de Billy estime qu’on pourrait même y réaliser des enregistrements

Le Rosey, ovni futuriste
Classique L’institut basé à Rolle lance une nouvelle saison de concerts dans le Paul & Henri Carnal Hall, bâtiment novateur conçu par l’architecte Bernard Tschumi
La salle comprend 900 places dans des conditions d’écoute de grand confort
Les premiers tests acoustiques s’avèrent très prometteurs. Le chef français Bertrand de Billy estime qu’on pourrait même y réaliser des enregistrements
A Rolle, on l’appelle la «soucoupe volante». Situé sur le campus verdoyant de l’école Le Rosey, cet ovni fait beaucoup parler de lui. Conçu par le célèbre architecte Bernard Tschumi, le Paul & Henri Carnal Hall (ou Rosey Concert Hall) abrite une salle de concerts de 900 places et des équipements culturels destinés aux élèves de l’école privée. A l’heure où les menuisiers s’adonnent aux dernières finitions, rabotant des planches de bois à grand bruit, la soirée d’inauguration, fixée au 2 octobre, affiche déjà complet, avec le chef Charles Dutoit et le Royal Philharmonic Orchestra de Londres.
«C’est un joli symbole pour nous d’avoir le plus grand chef suisse – et vaudois! – qui marque un attachement au pays et à la culture internationale», dit Philippe Gudin, directeur de l’école Le Rosey, en passe de transmettre le flambeau à son fils Christophe. Sa fille, Marie-Noëlle Gudin, est chargée de la programmation. L’objectif? Ouvrir l’école à la population environnante pour casser l’image «d’une bulle fermée» réservée à une jeune élite. «C’est un acte de partage autour de la musique classique et de l’art», explique-t-elle, persuadée que le Carnal Hall a pour mission d’être une «interface» entre les activités de l’école et la région.
Cette double vocation fait l’originalité du projet. Car, si Bernard Tschumi et son acousticien Alban Bassuet ont conçu le bâtiment autour de la salle de concerts – véritable «cœur humain» –, les alentours comprennent des studios de musique et une grande salle de répétitions pour les chœurs, des locaux pour les écoles de peinture, de sculpture, de photographie et de gastronomie, et une «Black Box» de 227 m2 destinée au théâtre contemporain et aux concerts pop-rock.
Ce concept – celui de tout inclure en un – courait le danger de prétériter la salle de concerts. «On ne voulait surtout pas avoir une salle polyvalente bonne à rien faire, assure Marie-Noëlle Gudin. Nous voulions la meilleure salle de concerts classiques possible, adaptable à tous les autres genres.» Et de citer des comédies musicales, des productions d’opéras (même si la salle ne dispose pas de cintres), des concerts de jazz, des pièces de théâtre et des conférences, sachant que tout reste à faire dans un outil qui doit être testé.
Le coût de cette folie? 50 millions de francs, financés pour la moitié par des fonds propres (les économies du Rosey), pour l’autre moitié par un crédit de la Banque Cantonale Vaudoise. «Pour 50 millions de francs, c’est un résultat faramineux», s’exclame Alban Bassuet, l’acousticien installé à New York. «On aurait pu compter trois fois ce budget afin de venir à bout du projet. La valeur d’utilisation du bâtiment est au-delà de l’investissement de départ.»
Pas de doute. Si le Carnal Hall a tout l’air d’une «soucoupe volante» en rupture avec les vieux bâtiments de l’internat – une soucoupe volante un peu rétro, façon années septante! –, ce dôme d’acier et de verre réserve bien des surprises à l’intérieur. Une fois le porche d’entrée franchi, le hall principal comprend une paroi verticale boisée, aux formes géométriques engravées (appelées «zébulons»). Ces mêmes parois boisées se retrouvent au cœur du bâtiment: elles servent à réfléchir le son dans la salle. On dirait du bois composite.
«Je ne voulais surtout pas de sapin, insiste Philippe Gudin, parce que ça me rappelait trop notre campus d’hiver à Gstaad.» Il a donc fallu dénicher un autre matériau propice à la propagation du son dans la salle. Avec l’aide de l’entreprise jurassienne Schwab System (spécialisée dans la conception d’auditoriums), Bernard Tschumi et l’acousticien Alban Bassuet ont eu recours à de l’OSD (Oriented Strand Board).
«On utilise ça partout à New York comme matériau de construction pour protéger les chantiers!» dit Alban Bassuet, l’air amusé. Soit un matériau fait de particules de bois et de colle. Cet OSD a été traité de sorte à obtenir une surface plus lisse, quoiqu’irrégulière. Les sièges étant d’un grand confort, avec des allées larges pour déployer ses jambes, tout a été fait pour le bonheur du spectateur.
Mais, au-delà des discours sur les prodiges techniques, rien ne vaut un test concret. Bertrand de Billy, chef au rayonnement international, et l’Orchestre de chambre de Lausanne ont répété trois jours la semaine dernière au Rosey Concert Hall. «Ça a été un choc dans le bon sens du terme!» dit-il. «Les 38 musiciens étaient emballés, et je peux vous dire que c’est rare d’avoir une pareille unanimité pour une salle.»
Bertrand de Billy salue d’abord le fait que les musiciens puissent bien s’entendre entre eux sur le plateau. L’autre atout, non négligeable, c’est que la salle laisse passer la lumière du jour à travers ses fenêtres qui donnent sur l’extérieur. Et puis, celle-ci est pourvue de trois réflecteurs (ou conques acoustiques) qui permettent d’agir directement sur le son. Ces réflecteurs peuvent être élevés ou baissés, mais aussi orientés de façon spécifique. «Il y a huit jours, nous avons joué deux symphonies de Mozart à l’occasion d’un concert offert aux constructeurs de la salle. Nous leur avons alors montré l’incidence des réflecteurs sur le son, et ils ont pu se rendre compte que c’est énorme.» Le chef français est persuadé qu’avec le Rosey Concert Hall, l’école privée se dote de «l’une des meilleures salles en Suisse», où l’on pourrait même réaliser des enregistrements.
Mais Marie-Noëlle Gudin, qui organise les saisons de concerts, tient à étoffer la palette des styles musicaux. Elle et son père sont fiers d’énumérer la liste des anciens Roséens devenus des musiciens. Joe Dassin, Julian Casablancas et Albert Hammond Jr, des Strokes, ou encore Sean Lennon (fils de John Lennon), surgissent de leurs bouches, comme si Le Rosey avait forgé leur célébrité.
Ce dôme d’acier et de verre réserve bien des surprises à l’intérieur