Rossini enchante Lausanne et son opéra
Musique
La «Cenerentola» de Rossini offre de la fantaisie à revendre, sur des voix de premier plan et un OCL au meilleur. Un régal.

Dramma giocoso, Cenerentola? «Rêve», répond le metteur en scène Adriano Sinivia. La simplicité de sa proposition s’appuie sur la fantaisie des contes de fées. Et cette Cendrillon-là semble en être la quintessence, tant les images qu’elle libère interpellent et flottent longtemps après les saluts. A l’issue de la première, vendredi, l’Opéra de Lausanne trépigne, debout. Le ravissement, il faut dire, est total.
Par où commencer? La fin. Endormie sur les genoux de sa mère qui referme doucement un livre d’histoires, avant d’éteindre la lumière sur la dernière note de l’orchestre, une petite fille est plongée dans ses rêves. Le début: une bambine blonde traverse la scène sous un tourbillon de neige, entrée comme par enchantement dans la maison de Cendrillon où il fait nuit. L’heure des rêve. L’enfant, ailée d’or, en robe blanche, suit et précède sans relâche le destin de Cendrillon. Ange protecteur, et observatrice émerveillée des pouvoirs de l’amour.
Entre les portes d’entrée et de sortie de ce songe, un imaginaire jubilatoire. Soulevée par la féérie de projections vidéo, la légèreté d’un dispositif mobile de maison de poupées et l’extravagance de costumes colorés, l’œuvre peut s’y épanouir à son aise. Le ton est aérien, pétillant, onirique et d’une irrésistible drôlerie. Des personnages d’une galerie de portraits s’échappant de leur cadre et s’égarant d’un tableau à l’autre au rêve de Don Magnifico en dessin animé, en passant par le défilement filmé d’une route plantée de friandises, un carrosse et un château à la Walt Disney ou une magnifique scène de magie d’Alidoro en ombres chinoises, les yeux sont à la fête.
Mais cette joie visuelle serait stérile sans le travail minutieux et signifiant qui sous-tend chaque intention. Rien n’est perdu ou laissé au hasard. Tout est utilisé et organisé au millimètre. Une brillante démonstration de comique, dans la concentration des effets et le maniement de la frivolité. Et un exemple de tendresse et de gravité, dans la poésie des images. On ne peut imaginer mieux pour illustrer le monde rossinien. Le chef Stefano Ranzani en élargit la portée d’une baguette généreuse, pleine d’esprit et de rondeur, de vitalité et d’humour, de sensualité et de malice. L’Orchestre de chambre de Lausanne rend avec allégresse et discipline l’esprit de l’ouvrage. La joie bouillonne, mais le drame veille.
Le chef ne perd jamais de vue les tensions qui traversent la partition. Il les tend et les gonfle en filigrane, puis s’y appuie pour faire virevolter les tourbillons d’airs et de vocalises. Ainsi, le grotesque offre un terreau parfait à la virtuosité des protagonistes et à la bonté de Cendrillon. Le rôle acrobatique et lyrique d’Angelina, confié à une tessiture de mezzo colorature, voire de contralto, n’est pas donné à toutes les voix.
Serena Malfi répond aux exigences au-delà des attentes. Son timbre caramélisé et velouté, dont les teintes de bois exotique ont des saveurs de liqueur ambrée, tend vers l’alto. L’étendue de son registre, la puissance de sa projection et l’agilité de sa technique n’ont rien à envier aux sopranos les plus vivaces. Son tempérament trempé et sa sensibilité lui donnent une force tranquille impressionnante, sur un physique qui rappelle Cecilia Bartoli de façon étonnante.
Éclatant Don Ramiro, le ténor Edgardo Rocha éclaire le plateau, et le truculent Don Magnifico d’Alexandre Diakoff occupe tout l’espace. Giorgio Caoduro (Dandini loufoque), Catherine Trottmann et Laure Barras (Tisbe et Clorinda infernales) ainsi que Luigi de Donato (Alidoro à la voix un peu large) complètent, avec le chœur impeccable de la maison, une distribution remarquable.
Opéra de Lausanne, les 7 (19h), 9 (20h) et 11 (15h) octobre. Rens: 021 315 40 20, www.opera-lausanne.ch