La synesthésie, souvent, c’est un désir. On voudrait que «les parfums, les couleurs et les sons se répondent» (Baudelaire, Correspondances), on souhaiterait pouvoir répondre à la question: «Qu’est-ce que ça sent, quand ça sent jaune?» Sunna Margrét, jeune musicienne islandaise aujourd’hui installée à Lausanne (c’est l’ECAL qui l’a attirée sur le bord nord du Léman), se débat avec ce type de doute: «Nous ne voyons pas avec nos yeux et nous n’entendons pas avec nos oreilles. Ce ne sont que des récepteurs pour que nous puissions ensuite interpréter ce que nous ressentons. La musique est entendue, est sentie, est ressentie, est vue. Elle parle de l’expérience d’un être sensible, d’une vie sensible.»
On ne prétendra pas que Sunna Margrét clôt la discussion sur la confluence des sens. Mais on dira que son manifeste laisse deviner qu’on a, avec elle, quelqu’un qui est attentif aux interstices, aux passerelles, à des conductivités fragiles, aux trouées de soleil dans la trame imparfaite d’une sapinière. Et le fait est qu’à l’écouter on se dit que son étonnant mélange de nonchaloir vocal et de lignes électroniques par moments très cliniques est une vraie musique de passe-muraille.
Prenez Art of History, un cinq-titres coproduit par No Salad Records, tout jeune label de la capitale vaudoise. Vous y trouverez quelque chose qui ressemble furieusement à une forme de concassage des décennies: il y a chez Sunna Margrét une chaleur vocale qui est presque celle des manières les plus alanguies du trip-hop de la décennie 1990 – on pense quelques fois à la voix de Holli Ashton, qui chantait pour Mark Van Hoen dans Locust. Mais ces souvenirs sont posés sur des rythmiques en mosaïques brisées qui ne sont possibles que de notre temps, et ils sont à leur tour traversés par des lignes harmoniques qui font retour aux temps anciens, glorieux, de ce que l’on appelait «Intelligent Dance Music». Un jeu de billard à multiples bandes qui fait, in fine, un très bel hybride.
Sunna Margrét joue ce jeudi 17 décembre à l’ECAL. Son concert sera retransmis en direct sur le site de l’école. La soirée complète (19h-22h) alignera également Purple Monkey Dishwasher, Fascination for Organs, Two Mixing Iced Rats et Marara Kelly aux platines.