Ils ne sont pas nombreux sur cette terre à pouvoir se poser cette question, au moment d’un virage potentiel de carrière: dois-je rester dans ma niche alternative ou aller embrasser la gloire que tout le monde me promet? Kevin Parker fait partie de cette race à part. L’Australien publie depuis 2010 des albums sous le nom de Tame Impala, quand bien même il est absolument seul aux commandes du groupe.

D’abord deux premiers disques dans une veine psychédélique, très au-dessus de ses principaux concurrents, Temples en tête. A un moment où il avait grand besoin de ses potes un peu crados pour jouer sur scène, s’amuser et consommer un peu trop de drogues… Mais il a bien senti qu’il allait s’ennuyer à faire le même disque toute sa vie. Il a donc bifurqué en 2015 avec Currents, un album bien plus accessible, puis a confirmé son ouverture en collaborant avec Lady Gaga et Kanye West, entre autres.

Sorti il y a une semaine, son quatrième album sonne comme une déclaration officielle: il n’y a plus de demi-tour possible, ce sera le monde sinon rien. Et tant pis si sa communauté historique pourra légitimement s’offusquer.

Trop propre

La maîtrise de Kevin Parker à l’heure de ce virage grand public est très impressionnante. The Slow Rush est incontestablement un très bon disque de pop, à l’efficacité démentielle avec ses hymnes lancés à la volée et ses mélodies bien frappées. On y entend des hommages à la french touch ou au meilleur de Supertramp, mais avec sa patte à lui, toujours. Et pourtant, on a souvent envie de détester cette mélasse un peu commerciale, il faut bien le reconnaître. On sent bien qu’il y a ce truc un peu gênant, dans le fond. Comme un concours de culturisme, où l’Australien exhiberait son savoir-faire comme d’autres leurs muscles. Ou une compétition de patinage, avec un programme libre qui ne serait en fait qu’un programme court amélioré, que des figures imposées poussées à leur paroxysme.

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C’est bien trop propre et démago pour qu’on se laisse aller à crier au chef-d’œuvre. Même si chaque nouvelle écoute remet une piqûre de charme de-ci de-là, c’est dire le potentiel vénéneux des compositions. Control freak assumé, Kevin Parker a joué de tous les instruments et s’est produit tout seul. On a bien compris: il est capable d’absolument tout. L’industrie du disque saura l’entendre elle aussi: un boulevard s’ouvre devant lui, pour bientôt devenir le compositeur-producteur des plus grandes stars de la pop commerciale. Il aura même le luxe de choisir ses camarades de jeu.

Aucune trahison

Il faut cependant lui reconnaître une certaine honnêteté artistique quand il jure ne jamais être content de ce qu’il fait: «Je veux toujours faire une musique aussi minimaliste et rudimentaire que possible. C’est comme ça que je la trouve la plus efficace. Et pourtant, à la fin, elle est toujours lourde, riche… C’est cette relation entre doute et excès de confiance. Je passe de «ah non, c’est mauvais, je ne peux pas faire ça!» à «c’est la meilleure chose qui ait jamais été écrite», parfois au même moment.»

Dans le panier «excellent», on mettra ses singles, tous imparables. Comme Borderline. Ou Patience, aussi, or curieusement, ce tube ne figure pas sur l’album. Mais franchement, cinq ans d’attente pour ça? On dira que le meilleur reste à venir, du moins on l’espère. Il faut garder un œil sur ce surdoué et ne pas insulter l’avenir.

Impossible de l’accuser, comme certains de ses plus vieux fans, de trahison. La variété un peu électro, un peu moderne, ça n’a rien de honteux, bien au contraire. Certains groupes plus confidentiels viennent de sortir des œuvres grandioses dans ce registre – on pense à Tennis (Swimmer, chez Mutually Detrimental) ou Kevin Krauter (Full Hand, chez Bayonet Records/Differ-ant). Des chansons plus authentiques, moins virtuoses, moins lassantes sur la longueur d’un album – la moitié des chansons de The Slow Rush dépassent les 5 mn 30, et c’est pénible, forcément pénible.

L’excellent webzine Goutemesdisques.com a récemment publié un photomontage sans prétention, mais drôle. Un premier cliché pour représenter les fans de Tame Impala période 2008-2015: une bande de geeks bien moches, nourris à la pizza, à la bière et aux joints. Un autre pour illustrer les amateurs de 2015 à nos jours: des trentenaires urbains bien sapés, verre de vin blanc à la main, au sourire aussi léger qu’insignifiant. C’est un peu ça, au final. The Slow Rush sera parfait en fond sonore pour une soirée cocktails.


Tame Impala, The Slow Rush (Universal/Caroline).