Fissure dans l’omerta
Et pourtant, un nouveau séisme idéologique a frappé le 7 octobre. Dans un post Instagram «liké» plus de 2 millions de fois, Taylor Swift, superstar native de Pennsylvanie mais résidente du Tennessee, dont les albums paraissent depuis ses débuts sur le label de Nashville Big Machine Records, appelait ses fans à s’inscrire sur les listes électorales, et apportait son soutien aux deux candidats démocrates de l’Etat pour les élections de mi-mandat, le 6 novembre. L’impact de ce court texte a été immédiat: le site officiel vote.org a enregistré une hausse significative du nombre d’inscriptions dans les jours qui ont suivi, particulièrement dans la tranche d’âge des 18-24 ans, cœur de cible de Swift, 28 ans. Un événement majeur dans un Etat régulièrement pointé du doigt pour son taux record d’abstention.
Beville Dunkerley, résidente de Nashville et fondatrice de Rolling Stone Country, l’antenne spécialisée du célèbre magazine musical, se réjouit du courage de la pop star: «A Nashville, l’industrie de la musique est très à gauche, mais les artistes ont tous peur de partager leurs opinions politiques, car leurs fans sont fermement conservateurs. La plupart votent démocrate en secret.» Ce que célèbre (discrètement) la capitale du Tennessee, c’est donc une fissure dans cette omerta qui pèse lourd sur des vedettes prises en étau entre leurs convictions intimes et leur public.
Un débat qui remonte à loin: en 1975 déjà, la star Loretta Lynn faisait scandale avec son single The Pill (sur la pilule contraceptive). Et même si le genre s’ouvre, depuis quelques années, à la communauté LGBTQ, avec des tubes qui abordent en douceur la question de la différence, Dieu, les armes à feu, les chagrins d’amour, la prison et les pick-up trucks demeurent les incontournables de toute chanson country, chantés en leur temps par Johnny Cash, Hank Williams ou Dolly Parton.
«25% de moins»
Cependant, alors que quelques artistes venus de Nashville parviennent à se frayer un chemin vers le très grand public, nul n’a réussi sa mue avec autant de succès que Taylor Swift. Révélée au milieu des années 2000 avec des ritournelles sentimentales jouées à la guitare acoustique, la chanteuse a viré pop en 2012, devenant la superstar que l’on connaît (près de 40 millions d’albums vendus, 112 millions d’abonnés sur Instagram) hors de l’Amérique.
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Durant la campagne présidentielle, elle fut pourtant l’une des seules stars de son calibre à ne pas se prononcer publiquement sur ses intentions de vote. Et, bien qu’elle se soit depuis revendiquée féministe et exprimée en faveur du contrôle de la vente d’armes à feu, le doute planait toujours sur son orientation politique, permettant même au Parti républicain et aux suprémacistes blancs de revendiquer son soutien tacite. L’extrême droite a d’ailleurs instantanément réagi à la «trahison» de sa «déesse aryenne»: les commentaires outragés ont fleuri sur les forums en ligne 4chan et Reddit. Et Donald Trump, lui, a déclaré aimer sa musique «25% de moins».
Ce qui l’autorise aujourd’hui à dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas? Selon Beville Dunkerley, «Taylor Swift a un statut à part. C’est une icône. Je ne crois pas que des stars plus spécifiquement country, comme Miranda Lambert ou Carrie Underwood, pourraient faire ce qu’elle a fait sans prendre le risque de conséquences catastrophiques pour leurs carrières.» Malgré cette spectaculaire percée, le temps du coming out est encore loin pour les démocrates de Music City.