Un pianiste, Taber Gabel, qui réussit à faire pleurer en quelques nappes synthétiques la très belle chanteuse Rose Gold. Un bassiste aux semelles de vent, Brandon Owens. Rien d’autre et l’impression d’un orchestre symphonique, d’une phalange pacifique, capable de déjouer be-bop et d’enjouer hip-hop. On ne sait trop bien ce qui se passe aujourd’hui en musique tant qu’on n’a pas entendu cette jeunesse américaine, biberonnée au rap, qui a tout appris de l’histoire du jazz et du blues. Quand certains se demandent encore si le swing n’est pas mort, eux avancent. Et, dans ce concert vertigineux, Terrace Martin donne de la lisibilité à une entreprise de déconstruction stylistique sans précédent.
Sur son clavier, armé d’un vocoder, ou sur un saxophone alto qu’il a affûté à l’école de son père batteur, dans le groupe de Billy Higgins ou en écoutant attentivement Jackie McLean, Terrace prouve que la musique africaine-américaine a connu depuis le début des années 2000 une révolution qui rivalise avec celle de la soul des années 1960 ou du funk des années 1970. Avec le pianiste Robert Glasper qui, lui aussi, a tout appris des standards d’académie et cite à tout bout de champ le combo hip-hop NWA, Martin fabrique un pont entre l’hyper-populaire et le savant, entre la sensualité et l’esprit. Son dernier album s’intitule «Velvet Portraits». Il est une session de rattrapage évidente pour ceux qui étaient absents à Onze+.