Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir, à l’intérieur de la boutique Fleuriot. Si Debussy était parmi nous, il aurait certainement dédié le titre de ce fameux Prélude pour piano aux rendez-vous que l’Orchestre de la Suisse romande (OSR) organise à Genève pendant le mois de février. Fragrances fleuries et notes s’enlacent en effet dans le célèbre magasin de fleurs, lors de mini-concerts d’un quart d’heure où un musicien de l'orchestre apparaît devant un auditeur, en tête à tête, pour une sérénade nocturne inédite et exclusive. 

Pour chaque soirée, l'interprète enchaîne six à huit séances où les invités se succèdent en douceur. Le succès est tel que les 72 petits récitals prévus sont déjà quasiment complets. Mais de nouvelles dates de ce concept initialement fondé par le Staatsorchester Stuttgart et le SWR Symphonieorchester seront proposées.

Verdure odorante

L’originalité de l’aventure, outre son minuscule format et son exclusivité, réside aussi dans la surprise de l’instrument et de son possesseur, ainsi que des œuvres choisies. L’auditeur découvre le tout lorsqu’il rejoint la chaise installée au cœur de la verdure odorante. Trois mètres de distance, masques, gel: rien n’est laissé au hasard. C’est donc en toute tranquillité que la musique peut se savourer.

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Les lieux, eux aussi, ne sont pas habituels. Lorsque la première série a débuté en juillet 2020, le célèbre fleuriste a répondu présent avec enthousiasme et générosité. Puis la boutique Les Enfants Terribles lui a emboîté le pas avant que d’autres suivent. Le restaurant le Lyrique et l’espace d’exposition du Quartier Libre, au Pont de la machine, attendent leur tour. C’est dire si l’idée plaît à tous.

On ne peut pas dire que l’imagination, la volonté, la résilience et la créativité manquent à l’orchestre, à l’époque où sévit une pénurie générale d’art et de partage. Ce genre de projet illumine d’une joie bienvenue les heures sombres, muettes et hivernales.

Une féerie en préparation

En fermant les yeux, on pourrait presque se diriger du nez jusqu’au siège. Mais c’est les yeux bien écarquillés qu’on ne peut s’empêcher de traverser les cascades fleuries. Les odeurs, bien sûr, invitent à un rêve éveillé. Mais que dire de la splendeur des couleurs, bouillonnantes tel un tableau de Monet? Comment détacher les yeux des bougies et de la ronde de petits bouquets posés au sol, balises poétiques d’une féerie en préparation?

Il est temps de doucement regagner la chaise, au centre de la ronde fleurie et illuminée. Et de fermer les yeux, justement, comme à colin-maillard. La rencontre attendue sera forcément surprenante. Qui va se présenter? Quel instrument va venir chanter sa sérénade? Quelles pièces sauront séduire ou surprendre l’oreille? Ce soir, c’est la contrebasse au vernis scintillant et aux teintes chocolatées d’Hector Sapiña Lledo qui apparaissent.

Source, averse et flot

Lentement, dans un silence concentré, le musicien prend une inspiration. La profondeur et le moelleux des sonorités, la précision et la sensibilité du jeu ainsi que la proximité des vibrations prennent une dimension nouvelle. C’est dans un bain musical que le spectateur s’immerge. Une trop courte mais intense submersion dont il sortira lavé des soucis du monde.

Bach pour commencer: la source et l’esprit (Prélude de la 2e Suite pour violoncelle); Stefano Scodanibbio ensuite: une averse fraîche de pizzicati (thème improvisé Farewell); Giovanni Bottesini enfin: le flot romantique (Bolero) du grand maître de la contrebasse. Lorsque le silence revient, les émotions résonnent un long moment. Une expérience que l’auditeur savoure sans retenue, mais que le musicien partage aussi.

L’étonnement et le plaisir

«C’est un moment très fort, avoue Hector Sapiña Lledo. Particulièrement pour un contrebassiste qui n’est pas souvent exposé en soliste, mais tient majoritairement le rôle fondamental et discret d’accompagnateur dans l’orchestre. Il est très touchant aussi de voir les réactions des invités, qui ne s’attendent pas à cet instrument et le découvrent souvent avec curiosité, étonnement et plaisir.»

Il faut savoir s’adapter à cette intimité, et saisir ce qui saura plaire. «Selon les personnes, je varie les œuvres en fonction du ressenti, puisqu’on ne parle pas avant. Et j’essaye de proposer la palette la plus ouverte possible pour offrir, en un temps minimum, le maximum des possibilités de l’instrument.»

La situation est très particulière. «La proximité est à la fois intimidante et stimulante. Quant à l’environnement des fleurs, il est très inspirant. Cette part de nature ouvre l’imaginaire et les sensations. Cela donne envie d’aller jouer en montagne, en forêt ou dans tout autre lieu en plein air, loin de l’agitation urbaine, pour expérimenter une autre forme de liberté.» Une magnifique idée dont on ne doute pas que la direction saura aussi s’inspirer.


«Concert 1:1», infos et réservations sur le site de l’OSR.