Musique
Le joueur de kora malien rencontre son fils Sidiki pour le duel le plus captivant de la saison

De ciment et de latérite, la cour de Toumani Diabaté à Bamako a toujours été ce carrefour des marmites fumantes, des touristes en appétit, des déshérités munis de leur coupelle. Toumani y arrivait en retard, grand boubou et coupé bleu Mercedes; ce qui donnait l’occasion d’observer longuement un adolescent nommé Sidiki, parti depuis enfant à l’assaut d’un instrument de 21 cordes. Sidiki parlait hip-hop et héritage, enroulé dans sa petite voix de griot béni. Il se préparait déjà à ce moment où il rencontrerait son père.
L’événement est considérable. Deux nuits dans l’une des meilleures salles de Suisse romande, le City Club de Pully, avec Toumani et son fils Sidiki. Rien que leur disque, sorti en 2014 et qui porte leurs deux prénoms, met des fourmis rouges dans l’estomac. Deux koras, deux harpes mandingues, rien d’autre sinon les fantômes de 71 générations de Diabaté, la généalogie impérieuse, l’œdipe résolu dans les cordes. Ils jouent «Lampedusa», la chronique du temps qui fuit, et des morceaux que leurs aïeux traitaient avant eux; ils jouent leur nom et les empires qui les devancent.
Toumani au téléphone a la voix qui crépite. Il a 50 ans. On le voit encore comme ce jeune homme pressé, sa canne comme une troisième jambe, quand il jouait en trio avec le balafoniste Kélétigui Diabaté, le joueur de luth Bassékou Kouyaté, qu’ils fabriquaient un jazz sahélien. «Mon père s’appelait Sidiki, lui aussi, il était le maître de la kora. Quand il est mort, en 1996, les funérailles ont été nationales. Mais je ne me souviens pas qu’il m’ait enseigné l’instrument. J’ai appris en regardant.»
Harpe des sables
Toumani est un révolutionnaire sans tapage. Il a mis sa tradition au service de l’ailleurs. Il a enregistré avec Björk, avec Taj Mahal, avec le tromboniste Roswell Rudd, avec des joueurs de flamenco. Chaque fois qu’il fallait 21 cordes à vif, cette harpe des sables qui semble animée par trois esprits au moins, on l’appelait. «Je n’ai pas le sentiment que toutes ces rencontres aient changé mon jeu. Ils ne m’ont jamais demandé de jouer leur musique, comme je n’ai jamais attendu qu’ils jouent la mienne. C’est cela une rencontre. On y apporte ce que l’on est.» Entre-temps, le petit Sidiki, le fils prodigieux, a grandi. Il est né en 1990. Toumani lui a donné quelques conseils cruciaux, sans jamais exiger de lui qu’il prenne sa succession.
«Sidiki a étudié à l’Institut national des arts, au Conservatoire, il a appris la technologie. Je ne sais pas si vous savez ce que cela fait quand votre propre fils réalise des choses que vous n’espériez même pas.» Sidiki est très rap, il a dans son studio personnel des régiments de clés USB, de boîtes à rythme, il raffole de Kendrick Lamar et d’Alicia Keys. Ils jettent cela dans le tronc commun: le blues américain, la rugosité des banlieues du nord et l’éternité de la fonction, le griot qui répond à l’appel de la noblesse africaine, les troubadours du nouveau millénaire.
Un père et son fils, côte à côte, pour lesquels la musique n’a jamais été une question. «Quand je suis sur scène avec Sidiki, j’ai l’impression d’un musée vivant.» Le mot important, c’est vivant.
Toumani & Sidiki Diabaté en concert à Pully, City Club. Sa 7 nov. à 19h, précédé du film «Je chanterai pour toi» de Jacques Sarasin. Di 8 nov. à 16h30, précédé du film «Timbuktu» d’Abderrahmane Sissako.