Une baguette fabuleusement expressive à Gstaad
classique
Le chef letton Andris Nelsons, l’un des plus talentueux de sa génération, a fait vive impression samedi soir, dans le festival de l’Oberland bernois. Son épouse, Kristine Opolais, possède une voix d’une étoffe splendide
Epaules larges et râblées, présence physique rayonnante, Andris Nelsons n’a pas son pareil pour galvaniser les musiciens. A 34 ans, ce chef letton est l’un des plus prometteurs de sa génération. Il se produit dans des maisons prestigieuses comme le MET de New York, l’Opéra de Vienne et le Festival de Bayreuth où son Lohengrin (dans la fameuse mise en scène de Hans Neuenfels) fut l’une des interprétations les plus poétiques que l’on ait entendues. Samedi soir, sous la tente du Menuhin Festival Gstaad, il dirigeait «son» orchestre, le City of Birmingham Symphony Orchestra, aux côtés de la soprano Kristine Opolais, son épouse.
Andris Nelsons se distingue par un fabuleux mélange d’instinct et d’intelligence. Né à Riga en 1978, il fut d’abord pianiste, puis trompettiste à l’Orchestre de Riga, avant d’être formé par Mariss Jansons, directeur musical du Royal Concertgebouw Orchestra d’Amsterdam et chef principal de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise. Contemporain d’un autre chef très doué, Yannick Nézet-Séguin, il a très vite connu le succès. En 2009, Andris Nelsons s’est vu confier le City of Birmingham Symphony Orchestra, l’ancien orchestre de Simon Rattle, après le règne intermédiaire (passé relativement inaperçu) de Sakari Oramo. Aujourd’hui, sous l’impulsion d’Andris Nelsons, la formation anglaise compte à nouveau parmi les meilleures phalanges dans le paysage européen.
Il faut voir ce jeune chef empoigner de manière incroyablement tonique l’Ouverture de La Force du destin de Verdi. Dans une œuvre aussi galvaudée (utilisée pour plusieurs musiques de film, dont Jean de Florette et Manon des sources), il parvient à dépasser le côté illustratif de la pièce pour en éclairer la dramaturgie si admirablement construite. Il scande les fameux appels de cuivres – le motif associé au destin – en ménageant des silences, ce qui donne un supplément de théâtralité à la musique. Les mélodies aux bois dégagent un lyrisme mélancolique, tandis que les cordes, admirablement soyeuses, apportent ce rai de lumière (dans l’un des épisodes médians de l’Ouverture) qui contraste avec le climat sombre de la pièce.
Beauté blonde lettone, Kristine Opolais entame alors une série d’airs tirés d’Otello de Verdi et d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski (la fameuse «Scène et air de la lettre» de Tatiana). Si la voix n’est pas très puissante, elle est d’une étoffe splendide. Kristine Opolais marie pudeur et expressivité. Elle est capable de chanter avec la plus infime délicatesse, médium velouté, aigus aux sons filés. Sa façon d’interpréter les mots de Desdémone dans la «Chanson du saule» («O Salce! Salce! Salce!»), en diminuant à chaque fois le volume dynamique, de piano à pianississimo, est admirable. Son mari Andris Nelsons lui tisse un écrin subtil, cordes soyeuses, textures satinées, qui font également merveille dans l’«Ave Maria» qui suit. Occasionnellement, l’orchestre couvre la voix, ce qui est dommage. La soprano chante avec la même sensibilité la «Scène de la lettre» de Tatiana. A nouveau, la voix et l’orchestre se fondent l’une dans l’autre, onctuosité du timbre, élasticité des nuances.
Dans la 7e Symphonie de Beethoven, offerte en seconde partie, Andris Nelsons cultive un son plein et cossu, aux antipodes des instruments d’époque (dommage que l’acoustique de la salle favorise trop les cuivres). Il ménage remarquablement la progression dramatique dans le développement du premier mouvement, et module l’expression dans l’«Allegretto». A nouveau, il parvient à faire respirer le matériau musical. Le «Scherzo» est enlevé – non pas sec et saccadé. Et le mouvement final virevolte avec l’énergie voulue, sans verser dans une caricature de danse dionysiaque survoltée.