Le programme musical donné par Jonathan Nott et l’Orchestre de la Suisse romande mercredi soir au Victoria Hall de Genève – et repris jeudi – juxtaposait nonchalamment une création contemporaine et Richard Strauss. Inutile de vouloir dresser des passerelles entre Shadows III, Concerto pour quatuor à cordes et orchestre du compositeur français Yann Robin (né en 1974) et la Danse des sept voiles de Salomé ainsi que les crépusculaires Vier letzte Lieder de Strauss.

Accueillie par un concert de bravos et de huées, la pièce contemporaine de Yann Robin intrigue sans franchement convaincre. Son Concerto pour quatuor à cordes et orchestre est un grand corps bruitiste, une partition expérimentale qui fait appel à des modes de jeu rappelant par moments la «musique concrète instrumentale» d’un Helmut Lachenmann. Y passent les ombres d’Also sprach Zarathustra de Strauss (dans les premières mesures), de Pacific 231 d’Arthur Honegger (pour le côté motorique) et du Sacre du printemps de Stravinski (les grands éclats disruptifs).

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Agitation frénétique

Pour le reste, on est dans un langage typiquement contemporain où s’amoncellent des gestes striés et hachurés, des cellules rythmiques en répétition, des notes en rafales, des sons rêches et crissants, passant par des phases d’intensification et de magma sourd, le tout ponctué de puissantes déflagrations pareilles à des éruptions sonores. Si les premières pages nous intéressent par le traitement d’une cellule mélodico-rythmique en boucle, bientôt la structure semble se relâcher… La dramaturgie s’essouffle dans une agitation frénétique et des convulsions incessantes. Le catalogue d’effets s’épuise dans un va-et-vient qui dilue la substance sonore. Trop long, trop répétitif.

On saluera la performance technique du Quatuor Tana, très investi, et on pardonnera à Jonathan Nott de s’être perdu à un moment donné dans la partition pour l’interrompre et la reprendre sitôt après avoir dit quelques mots au public (certains mélomanes ont pensé que «ça faisait partie de la musique»!). L’OSR, tous pupitres confondus, est confronté à un langage musical ardu.

Des lieder en manque de transcendance

Passé l’entracte, Jonathan Nott empoigne la Danse des sept voiles de Salomé de Strauss. La part sauvage et lubrique de la partition est bien mise en relief, avec le côté lancinant de la danse – même si tout cela manque un peu de finesse. Les Vier letzte Lieder de Strauss concluent la soirée sans la part de transcendance attendue. La soprano lituanienne Asmik Grigorian présente un très beau timbre, ample et charnu. Les moyens vocaux sont là; on admire l’homogénéité du grave à l’aigu, la conduite des lignes vocales, la plasticité, mais l’émotion n’est pas tout à fait au rendez-vous.

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On regrette que la diction en allemand soit insuffisante. Jonathan Nott laisse s’épancher l’orchestre dans des couleurs vénéneuses sans canaliser suffisamment les forces en présence. Du coup, Asmik Grigorian doit se frayer une voie – et faire surnager sa voix – au milieu d’un accompagnement trop prégnant et touffu. On voudrait un canevas de couleurs plus délicates et arachnéennes. Le premier violon Vlad Stanculeasa joue remarquablement ses solos. Il manque une dimension crépusculaire à cette interprétation, celle-là même qui rend cette musique si souveraine et désarmante.