Le temps d’un concert, les t-shirts colorés ont remplacé les costards sérieux sur la scène de la salle Paderewski à Lausanne. Des adolescents ont pris la place des adultes. Vendredi 28 juillet, les 72 participants au stage d’orchestre des Jeunesses musicales de Suisse présentaient le fruit de leur travail après une dizaine de jours d’entraînement intensif. Beethoven, Elgar, Dvořák et Rossini figuraient au récital, long d’un peu plus d’une heure. Nés après 1995, ces jeunes talents appartiennent tous à la génération Z, celle qu’on dit hyperconnectée, impatiente, zappeuse et déconcentrée. Ambitieuse, aussi.

«Cette année, la moyenne d’âge tourne autour de 12-13 ans, explique Frédéric Théodoloz, chef d’orchestre du stage. Nous avons élevé le niveau car nous estimons que ces jeunes sont capables d’interpréter un programme complexe et habituellement joué par des adultes.» L’audacieuse recette symphonique fonctionne. Le public est conquis, la fierté et la joie se lisent sur le visage des interprètes. «Aujourd’hui, les enfants et adolescents sont plus nombreux à jouer d’un instrument. Et ils excellent de plus en plus jeunes.»

Du classique au rock

Parmi eux, Marion, 16 ans. Cette musicienne précoce a eu un véritable coup de foudre pour le violon à l’âge de 4 ans, après une vaine tentative au piano. «Mes parents m’ont poussée à jouer d’un instrument, admet-elle. Mais c’est vite devenu une passion, et maintenant une partie de moi.» Pour Isabelle, sa mère, il était essentiel que sa fille pratique une activité musicale. «C’est un exercice complet qui apprend la discipline», explique cette journaliste convaincue de l’impact positif de l’apprentissage d’un instrument sur les enfants. Ce qu’une pléthore d’études internationales s’applique à démontrer.

Pour autant, ni Mozart ni Haydn sur la playlist de Marion. Au quotidien, elle écoute du rock et du metal. Cette Genevoise joue d’ailleurs du violon électrique dans un groupe, preuve selon elle qu’avec un peu de créativité, le classique peut mener à d’autres univers. Si elle prévoit d’axer son travail de maturité sur le lien entre musique et mathématiques, elle ne compte néanmoins pas se professionnaliser. «Je veux que la musique reste un loisir. Le violon m’apporte beaucoup de bonheur mais plus tard je préférerais faire un métier utile à la société.»

Star en devenir

Pour d’autres jeunes, leur carrière a déjà commencé. A 19 ans, Imelda Gabs a la musique dans le sang. Fille du pianiste de swing et de boogie-woogie Doctor Gabs, décédé en 2013, elle a longtemps oscillé entre classique et jazz, violon et piano. «Confronter les deux registres m’a permis de questionner la direction musicale que je voulais prendre. Et puis j’ai décidé de mélanger plusieurs répertoires. Mais mon style se définirait comme du classique-jazz-funk, enfin un peu de tout», rit-elle. Style qu’elle accompagne de sa voix, soul et profonde. «Aujourd’hui, les artistes ont la possibilité de se trouver une identité malgré le fait de composer des morceaux qui ne se ressemblent pas.» Un sentiment de liberté que la jeune pianiste aime partager. «Le public est aussi plus ouvert à l’originalité.»

Réfléchie et lucide, elle possède un univers éclectique, à l’image de son temps. «Notre génération se cherche. Elle fait tomber les barrières. Pas seulement dans la musique, mais pour tout.» En juillet dernier, le Montreux Jazz Festival l’a appelée pour se produire en duo avec son ami percussionniste Clyde Philipp’s sur la scène du Stravinski. Imelda Gabs dit aussi aimer le romantisme de Chopin, Schubert et Beethoven. Artiste confirmée, la Lausannoise se concentre actuellement sur ses propres compositions. «Le fait de jouer en duo a répondu à toutes mes questions.»

Savoir se donner le temps

Arthur et Emile suivent une autre partition. Inscrits dans un cursus musique-école, leur jeune âge les fait hésiter entre une carrière professionnelle et la voie plus traditionnelle des études. Agés respectivement de 14 et 13 ans, ces deux frères suivent des cours au Conservatoire de Lausanne et à l’Ecole de jazz et de musique actuelle. «Ma mère m’a mis un violon entre les mains à 6 ans. A 8 ans, j’ai décidé d’essayer le piano jazz en parallèle, histoire de me confronter à un style complètement différent. Ensuite, j’ai appris le piano classique pour pouvoir accompagner mon frère», explique Arthur, qui joue en ce moment au Junior Orchestra de Verbier.

Plus on s’améliore et plus on a la chance de travailler avec des musiciens de talent. Ça fait rêver. Alors je me dis, pourquoi arrêter?

La musique classique, il aime l’interpréter autant que l’écouter tandis que son cadet, lui, se distingue aussi bien au violoncelle qu’à la batterie. «Du classique, j’en fais déjà beaucoup, alors je préfère écouter des musiques plus actuelles, comme du jazz ou de la pop.» Ressentent-ils une pression quant à leur orientation professionnelle? Parfois, mais tous deux s’accordent encore un peu de temps pour y réfléchir. L’option musicale reste toutefois «une grande possibilité» comme pour beaucoup d’adolescents au parcours similaire, tiraillés entre plusieurs voies. Boosté par ses victoires en concours, Arthur est songeur. «Plus on s’améliore et plus on a la chance de travailler avec des musiciens de talent. Ça fait rêver. Alors je me dis, pourquoi arrêter?»

Marion, Imelda, Arthur et Emile se sont accrochés aux do, ré, mi alors que de nombreux enfants qui s’initient à un instrument abandonnent dans l’adolescence, découragés à force d’attendre un niveau qui soit considéré comme bon. Du classique au rock en passant par le jazz, se nourrir du passé pour se tourner vers le futur, c’est un peu leur credo, à demi-mot. Malgré leurs différences d’âge et de parcours, ces jeunes talents partagent un point commun: la volonté de ne pas s’enfermer dans une case. Si caractéristique de leur génération.