Classique
Le Milanais Giovanni Antonini dirige Haydn et Beethoven, ce vendredi à La Chaux-de-Fonds et dimanche à Genève. Virtuose de la flûte à bec baroque, il est devenu un chef recherché

Qui aurait cru il y a vingt-cinq ans que le jeune Giovanni Antonini, vif, fluet, se frotterait un jour au démiurge Beethoven? De la flûte à bec, il est passé à la direction d'orchestre. Un monde sépare la musique baroque et Beethoven. Et pourtant, ce chef d'origine milanaise s'apprête à diriger la Neuvième Symphonie, ce vendredi, à la Salle de Musique de La Chaux-de-Fonds. Le concert (suivi d'un autre à Genève) a valeur de symbole, puisque le 5 juin 1955, le grand Carl Schuricht inaugurait la salle en dirigeant cette même œuvre à la tête de l'OSR. Soixante ans d'écart. Et un saut quantique dans l'histoire de l'interprétation.
Incroyable parcours que celui de Giovanni Antonini. En 1985, ils étaient trois musiciens à fonder l'ensemble Il Giardino Armonico. Trente ans après, il se retrouve à diriger l'Orchestre philharmonique de Berlin dans des symphonies de Haydn et le Concerto en ut mineur KV 491 de Mozart (avec Piotr Anderszewski). C'était la semaine dernière, et les concerts captés avec le système du Digital Hall (diffusion en streaming sur Internet) redoublent encore la pression. «Ce qui est stupéfiant, c'est l'énergie que ces musiciens délivrent au moment du concert. C'est la quatrième fois que je dirige l'orchestre en dix ans. Les trois soirées à la Philharmonie étaient pleines, des milliers de gens vous regardent via le Digital Hall. Je peux vous assurer que ce n'est pas une situation normale.»
Mais ce n'est pas tout. Giovanni Antonini figure parmi les happy few conductors qui accompagnent la diva Cecilia Bartoli. The Vivaldi Album et Sacrificium (consacré aux castrats napolitains) sont des best-sellers dans le marché très cloisonné du classique. Autant dire que Giovanni Antonini cartonne, alors qu'il ne court pas après la célébrité. Il collabore de manière très étroite avec l'Orchestre de chambre de Bâle. Ensemble, ils ont enregistré les symphonies de Beethoven pour Sony (il ne reste plus que la Neuvième à graver), dans le sillage des versions de Harnoncourt, Gardiner et consort.
L'idole Harnoncourt
Tout a commencé à Milan. Après s'être essayé au violon sur le conseil de ses parents (et avoir échoué à un examen au Conservatoire de Milan), le jeune Giovanni s'éprend de la flûte à bec. Il a des facilités. La musique baroque est un terrain vierge à l'époque où l'essor des instruments «historiques» commence à se répandre en Italie. Harnoncourt représente un phare pour ces enfants du baroque. «Nous avions tous été marqués par son fameux enregistrement des Quatre Saisons de Vivaldi réalisé au milieu des années 1970.» Une relecture radicale, tranchant avec le beau son élégant d'I Musici qui avait dominé jusque-là. La musique ne devait pas être simplement belle: elle devait parler. «C'était un virage complet dans l'interprétation de la musique baroque. L'approche était beaucoup plus théâtrale, anti-classique en un certains sens. Même quand le son n'était pas beau, c'était à des fins expressives pour exprimer la portée rhétorique de la musique. Nous étions comme les fils d'Harnoncourt.»
Dès le début des années 90, Il Giardino Armonico va bâtir sa légende. Il y a cette touche italienne, entre élégance et irrévérence, les cordes crissant pour imiter le givre d'hiver dans les Quatre Saisons. Habillés en tenues Armani et Versace, le geste stylé, ces enfants terribles du baroque jouent debout, en demi-cercle. Leur Vivaldi est magnifiquement coloré, entaché cependant de quelques tics (coups de boutoir). En autodidacte, Giovanni Antonini se met à diriger l'ensemble. «Il Giardino Armonico était un laboratoire pour tester des idées mais aussi pour m'essayer à la direction.» Beaucoup de disques pour la firme Teldec. Et puis une proposition, en Espagne en 1997, où l'apprenti chef dirige pour la première fois un orchestre symphonique - de taille raisonnable - sur instruments modernes. «Jusque-là, je n'avais côtoyé que les musiciens baroques à cause de la flûte à bec. Voilà que découvrais un autre monde. J'ai d'ailleurs inscrit une symphonie de Haydn pour ce concert en Espagne.»
Après Beethoven, la passion Haydn
Haydn, c'est la dernière passion d'Antonini. Comme pour Beethoven, il a succombé à l'offre alléchante - mais inattendue - venue du manager de l'Orchestre de chambre de Bâle de s'embarquer dans une intégrale des symphonies de Haydn. «C'est un peu fou, non?» Bien sûr, avec 107 symphonies! Le projet, Haydn 2032, consiste en une série d'enregistrements à réaliser à l'horizon 2032, avec Il Giardino Armonico et l'Orchestre de chambre de Bâle. «Les gens connaissent une poignée de symphonies, comme celle des Adieux ou la «Londres». Beaucoup pensent que c'est un répertoire un peu ennuyeux.» La difficulté sera de rendre chaque œuvre singulière. «Haydn avait l'art de suggérer des portraits humains très étoffés. En musique, ce n'est pas si difficile de dépeindre la rage ou l'extrême tristesse, mais c'est beaucoup plus délicat de dépeindre les caractères médians, par exemple la mélancolie teintée d'une touche de joie. Très subtil, très subtil.»
Le flûtiste Emmanuel Pahud, membre du Philharmonique de Berlin, admire le chef milanais. Ensemble, ils ont enregistré un album paru au printemps chez Warner. «J'ai toujours adoré jouer avec lui. Il est très dynamique et très déterminé. Il communique une énergie, une intensité, une tension mélodique dans chaque voix qui fait que les harmonies se nouent et se dénouent. Il ne faut pas vouloir accoler une étiquette à Giovanni Antonini: il dépasse largement le cadre de la musique baroque.» Avec le recul, cette première phase de carrière n'a été qu'un tremplin. Même si la partition de sa vie a évolué de manière complètement improvisée, le chef y voit une logique. «J'ai commencé avec Frescobaldi, Vivaldi et Veracini et j'ai avancé chronologiquement jusqu'à Bach, Haydn et Beethoven. Après tout, Beethoven lui-même échappe aux classifications. Il n'est ni classique ni romantique. C'est comme dans la vie: le noir n'est pas toujours noir, mais parfois un peu blanc ou rouge.»
Les dates des concerts
La Chaux-de-Fonds, 6 novembre
Giovanni Antonini dirige la 80e Symphonie en ré mineur de Haydn et la 9e Symphonie
de Beethoven. Orchestre de chambre de Bâle, Zürcher Sing-Akademie. Vendredi 6 nov.
à 20h15. Salle de Musique de La Chaux-de-Fonds. Rens. http://musiquecdf.ch
Genève, 8 novembre
Giovanni Antonini dirige la 80e Symphonie de Haydn, le 2e Concerto pour piano de Beethoven (avec Kristian Bezuidenhout) et la 4e Symphonie de Beethoven. Orchestre de chambre de Bâle. Dimanche 8 nov. à 17h au Victoria Hall de Genève. Rens. www.ville-ge.ch/culture/victoria_hall/