Il y a des banques suisses pour tout, même pour les échos
Drôles d'échos (7/7)
Imaginée par le Zurichois Christian Zehnder, l’application Echotopos localise et mesure les sons résonnant dans les montagnes helvétiques. Une archive unique en son genre qui cherche à présent à conquérir les paysages romands

A priori, l’interface de l’application ressemble à n’importe quel plan en ligne. Une carte géographique de la Suisse sur fond gris, constellée de petits points colorés. Autant de marqueurs désignant l’emplacement de places de pique-nique ou de camping? Pas tout à fait. Cliquez sur l’un d’entre eux… et tendez l’oreille.
«Yalala-ouhou!» Un cri retentit, tonitruant et joyeux, immédiatement suivi par deux, trois puis quatre échos bien distincts. Des réverbérations d’une rare intensité qui, on le découvre, ont été captées dans les hauteurs grisonnes, non loin de la commune de Furna. Un pâturage facilement atteignable en voiture, et de préférence au petit matin, peut-on lire en dessous.
Voilà la mission d’Echotopos: répertorier tous les coins de montagne propices à un bel écho en Suisse, dans le but de constituer des archives acoustiques uniques en leur genre. «Il s’agit d’un appel aux alpinistes, aux marcheurs et à tous ceux dont les oreilles sont grandes ouvertes, afin qu’ils donnent une voix à l’espace alpin», peut-on lire sur la page du site internet.
Le principe est simple: chacun peut, au hasard d’une balade en nature, repérer un endroit particulièrement résonant. Il lui suffit alors d’en noter l’emplacement directement sur la carte interactive grâce au GPS de son smartphone. Apparaît alors un point bleu qui, après le passage de l’équipe Echotopos, s’accompagnera d’une photo du lieu, d’une description précise du chemin pour s’y rendre ainsi que d’un enregistrement du son obtenu. Lancée il y a deux ans, l’application répertorie aujourd’hui une soixantaines de ces zones et se voit régulièrement mise à jour.
«Un miracle»
L’homme à l’origine de ce projet détonnant n’est ni acousticien ni géographe, mais musicien. A 56 ans, Christian Zehnder a déjà une longue carrière derrière lui. De son premier groupe à succès, Stimmhorn, jusqu’au jodel version moderne ou à la composition pour opéra, ce Zurichois a enchaîné les projets singuliers. Mais avec une constante, celle de la rencontre entre voix et montagne. Nous le rencontrons d’ailleurs sur une terrasse d’Altdorf, petit village uranais qui accueille Alpentöne, un festival dédié à la musique des Alpes auquel il participe, cette année du 19 au 20 août.
Des sommets que Christian Zehnder connaît bien. Enfant, il passe un temps considérable à les arpenter en famille, grimpant d’une cabane à l’autre… et testant leurs voix. «Je m’époumonais constamment dans la montagne, mes parents en avaient assez et me demandaient de me taire! Sourit-il. Pour moi, l’écho était déjà une pure joie, de l’ordre du miracle.»
Au point qu’il songe un jour à créer une banque d’échos généralisée, envisagée avant tout comme un projet culturel destiné à populariser les vocalises alpines. Pour développer le logiciel, le chanteur fait appel à Fabio Soldati, un autre Zurichois accro des cimes à qui l’on doit PeakFinder, application à succès qui affiche en direct le nom des sommets environnants.
S’il ne lui a fallu que quelques mois pour concevoir l’interface d’Echotopos, qui repose sur Google Maps, Fabio Soldati a surtout découvert une nouvelle facette de la montagne. «En me rendant là-haut avec Christian et en l’écoutant jouer avec l’écho, j’ai réalisé que j’étais trop timide pour essayer, confie le développeur. J’ai donc suivi l’un de ses cours pour apprendre à utiliser ma voix. C’était une belle expérience.»
Une partition symphonique
Christian Zehnder le constate: nous sommes nombreux à avoir peur de crier, même dans l’espace protégé des massifs. Pourtant l’écho, mystérieux et insaisissable, semble fasciner les Suisses. En plus de ceux qu’il a repérés avec son équipe, une cinquantaine d’autres chambres sonores ont été découvertes par les internautes. Parfois jusqu’en ville. «On m’a suggéré les échos du pont de Lorraine, à Berne… qui seraient encore meilleurs si l’on nage en dessous!» Problème, les résonances urbaines sont difficiles à capter dans la cacophonie de la cité.
En altitude aussi, toutes les conditions doivent être réunies: peu de vent, une nature sèche, un ciel sans trop de nuages ni de passages d’avion… il faut parfois attendre des heures avant d’obtenir une résonance optimale. Mais pour Christian Zehnder, cette recherche active contribue à la magie de l’écho, différent à chaque fois. «C’est comme si la nature te répondait. Avec les bruits des insectes, des vaches, d’un cours d’eau, elle forme une vraie symphonie, dont je joue l’une des partitions.»
Le prix de l’immatériel
Maintenant, il lui faut poursuivre la vérification de tous les édens acoustiques signalés sur l’application. A chaque fois, le chasseur d’échos se rend sur place en compagnie de deux techniciens et d’une tête artificielle, munie de micros spéciaux qui enregistrent à 360°. Une main-d’œuvre et du matériel qui coûtent cher, environ 3000 francs la journée. Pour financer ses expéditions, Christian Zehnder compte sur le soutien des centres touristiques ou même celle des hôtels de la région. «Pas facile de trouver des fonds pour quelque chose d’aussi immatériel», admet-il.
Mais la priorité du yodleur se situe en Suisse romande, où Echotopos est encore peu connu. Une version francophone de l’application est prévue pour l’an prochain, et Christian Zehnder souhaite mener de nouvelles investigations sonores, au-delà du Röstigraben. Pour l’instant, seul le Creux-du-Van, figure à l’ouest de la carte. Alors si vous débusquez un écho fabuleux ou en avez entendu parler, n’attendez plus: le ténor des montagnes est tout ouïe.