Yilian Cañizares, une Cubaine à Cully

Musique La violoniste et chanteuse présente son second disque lors du festival lémanique

Il y a quelques jours, à La Havane, sa grand-mère pointait du doigt depuis son rocking-chair verni les photographies de sa fierté bouclée, armée d’un violon. Quartier du Vedado, résidentiel en diable, les grosses machines américaines pétaradent entre les ruelles au cordeau, d’ombre et de lézardes. C’est là que Yilian Cañizares a touché ses premières cordes, tabassé ses premiers tambours et chanté pour la première fois le nom de dieux africains. C’est là aussi, pas très loin en tout cas, qu’elle a versé sang et rhum pour jouer Chopin.

Yilian vit depuis longtemps en Suisse. Elle est mariée à un local, très grand, qui est souvent assis dans les travées de ses concerts. Elle enseigne le violon improvisé à l’EJMA de Lausanne. Son percussionniste, Cyril Regamey, est un vrai Vaudois qui maîtrise l’afro-cubain, le jazz, tout ce qui exige transports et certitude. Mais il suffit d’écouter Invocación, deuxième album produit par le label français Naïve, pour comprendre qu’au fond, elle a très peu quitté son île. Elle y a laissé un souvenir vif. Chez le pianiste Harold Lopez-Nussa, maître de clave, de swing et de Bach, on écoute le disque de Yilian.

De l’admiration, pour cette femme qui travaille sur la matière cubaine, avec la technique de ses longues études classiques, ses années au Conservatoire du Venezuela, la méthode russe, mais aussi la religion de la santeria qui, pour elle, est une matière rugueuse qu’elle ne se résout pas à poncer. Harold admire le jeu, les arrangements, elle vit à l’extérieur, en diaspora, elle se nourrit de tout ce qu’elle a traversé; elle raffole du jazz le plus contemporain et le plus frénétiquement lyrique: Avishai Cohen ou Youn Sun Nah.

Libérée de l’héritage cubain

Son disque, dont la direction artistique est assurée par Alê Siqueira (Mayra Andrade, Roberto Fonseca, Marisa Monte), dépasse de très loin les réussites du précédent. Il n’est plus écrasé par l’héritage cubain, par les démonstrations du latin-jazz, par une culture à laquelle elle s’est longtemps sentie contrainte de rendre hommage. S’il y a du cubain, dans Invocación , c’est pour le démanteler, lui tordre l’âme, l’essorer, imposer le tremblement plutôt que le style. Yilian chante. Elle va même jusqu’à Piaf. Elle dit qu’elle ne regrette rien avec une légère houle dans la voix qui trahit quelque mélancolie. Invocación , disque de mémoire et de possession, vole du rap (Akua Naru en majesté) à la prière créolisée. Il passe très près du prodige.

Yilian Cañizares & Ochumare en concert. Sa 11 avril, 20h30, Cully Jazz Festival. www.cullyjazz.ch Yilian Cañizares, Invocación (Naïve/Musikvertrieb).