Parmi les nombreux invités du festival, on avait à cœur de ne pas rater celle-ci: la Japonaise Naomi Kawase, absente ce printemps de Visions du Réel à Nyon pour cause de décès de sa grand-mère de 96 ans. Quelle importance? Locarno ne s’y est pas trompé, sélectionnant hors compétition Chiri (Trace), le moyen-métrage qu’elle vient de consacrer à ce sujet, accompagné de précédents travaux vidéo.

Il faut en effet savoir que la cinéaste inspirée, primée à Cannes, de Shara et La Forêt de Mogari est de ceux/celles qui n’arrêtent jamais de tourner entre deux longs-métrages de fiction et que Locarno, comme Nyon, a toujours accueilli ses «essais» souvent autobiographiques qui n’ont pas pour vocation d’atteindre les salles commerciales.

Comme pour les précédents, on ne criera pas au chef-d’œuvre devant Chiri, travail qui tient du journal intime, composé avec des images arrachées à la fuite du temps. Mais comment nier sa force émotionnelle? La cinéaste s’en est expliquée lors d’une rencontre avec le public animée par Jean-Michel Frodon, ex-rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Rien qu’à la regarder s’exprimer en japonais (en attendant la traduction laborieuse), avec autant d’expressivité que de précision, d’humour que de détermination, on est sous le charme: une belle personne, animée par un engagement peu commun.

Du basket au cinéma

On y a appris que la citoyenne de Nara, l’ancienne capitale du Japon, choisit souvent des mots archaïques pour les titres de ses films, pas évidents pour le Japonais eux-mêmes. Des mots pour exprimer les choses du cœur, qui ont disparu de la langue actuelle. Chiri signifierait ainsi «poussière», mais aussi la «promesse à un défunt». Que, jeune basketteuse sélectionnée dans l’équipe nationale, elle a eu un jour, confrontée au compte à rebours, une prise de conscience aiguë du passage du temps. Que son travail de cinéaste vient de là, du désir de saisir cette coexistence mystérieuse du passé et du présent qui nous définit.

Elevée, puis adoptée par ses grands-parents maternels, elle a manqué, à 14 ans, un enregistrement demandé par son grand-père peu avant son décès. Depuis, elle n’a eu de cesse de se racheter et de «vivre sa vie le plus consciemment possible», à l’aide d’une caméra, malgré le stress que cela induit. Ni tsutsumarete (1992), enquête sur le père qu’elle n’a jamais connu, Katatsumori (1994), portrait de sa grand-mère Uno, KyaKaRaBaA (2001), sur sa dépression après la mort de ce père mafieux, et Tarachime (2006), autour de la naissance de son fils Mitsuki, ont été les premières étapes de ce travail de longue haleine, sorte de matrice de toute son œuvre. Fin d’un cycle, Chiri remercie sa grand-mère, filmée jusqu’au bout, d’avoir rendu tout ce parcours possible, grâce à l’amour qu’elle a donné.

Pas si «folle»

C’est une Naomi Kawase pas si «folle» que ça (une affirmation de Libération dont elle se souvient) qui a invité le public à découvrir également un film qu’elle a produit ( Inori , du jeune Mexicain Pedro González-Rubio) et à soutenir le festival de cinéma qu’elle vient de créer à Nara, en attendant son nouveau documentaire consacré à quatre femmes enceintes. A 43 ans, entourée de son mari et de son fils, c’est une femme accomplie, réconciliée avec la vie et la mort, qui est apparue à Locarno, dix ans après son dernier passage.