«National Geographic», l’enchantement perpétuel
Pour fêter ses 125 ans, le mensuel publie 16 kilos d’images réalisées à travers le globe. S’y dessine une histoire des hommes et de la photographie
Des chiffres, pour commencer. Reuel Golden et cinq collègues, employés chez Taschen, ont vu défiler environ un million de photographies, neuf mois durant, extraites des onze millions d’images qui constituent les archives du National Geographic. Ils en ont tiré trois volumes, pesant 16 kg et couvrant les 125 ans d’histoire du célèbre magazine. 125 000 exemplaires de ce triptyque de 1404 pages circulent actuellement dans le monde, en anglais, en français, en allemand et en espagnol. Une édition limitée, promet Taschen. Les coffrets, convertibles en lutrins pour alléger la consultation, se vendent environ 400 francs les trois pièces.
Place, maintenant, à l’enthousiasme. Dans le premier tome dédié à l’Antarctique et aux Amériques, le voyage débute par le Grand Nord. Un bateau aux allures de drakkar se détache à l’horizon. Nous sommes en 1903 dans le cadre d’une expédition polaire américaine. Un esquimau porte une parka faite en intestins de morse. Un ours polaire pend misérablement au mât d’un navire. Plus loin, New York affiche ses buildings et ses bistrots. L’architecture et les élégantes des années 1950 tiennent la vedette. La Voie lactée illumine le ciel de la Caroline du Nord en 2012. Une mangouste déguste une volaille.
La route file plus à l’est et le deuxième tome pénètre les continents européens et africains. Réception chic dans le château de Schönnbrunn, à Vienne, montagnes suisses garnies d’alpinistes, vue plongeante sur l’église Notre-Dame de Paris ou milliers de moutons écossais. Et puis des Bédouines en costume traditionnel, des parachutistes survolant le désert durant la guerre d’Algérie, des jungles luxuriantes, des grands singes et des tribus dansantes. Les traînées nocturnes des voitures, à Abidjan. Surviennent alors, plus orientales encore, l’Asie et l’Océanie. Paysages du petit matin au Tibet, écoliers nord-coréens rendant hommage à leur leader, poissons néo-zélandais et multicolores.
Le million d’images visionnées par Reuel Golden et son équipe correspondent à celles qui ont été publiées dans le National Geographic depuis que la première photographie y a été introduite en 1905. Y figurent des noms comme James Nachtwey, Steve McCurry ou Reza. Des clichés de légende comme la petite Afghane aux yeux verts, photographiée en 1984 dans un camp de réfugiés par Steve McCurry. «La sélection a été drastique. Nous avons gardé les vues qui nous semblaient les plus esthétiques et les plus intéressantes, mais elles devaient aussi raconter quelque chose de l’endroit où elles ont été prises et, enfin, refléter l’esprit National Geographic. A savoir un magazine d’exploration et de découverte, une fascination pour le monde», énumère Reuel Golden.
Evidemment, une part belle est faite aux panoramas grandioses et aux animaux sauvages si présents dans le célèbre magazine à couverture jaune, mais ce qui frappe surtout, ce sont toutes les scènes du passé, exotiques à leur manière. Au fil des milliers de pages se dessine une histoire du XXe siècle et de la photographie, des images en noir et blanc colorisées au digital actuel. Les grands événements qui ont bouleversé l’équilibre du monde sont cependant quasi absents. A peine devine-t-on une guerre. «On a parfois critiqué le National Geographic pour son manque d’engagement, mais cette revue n’a d’autre agenda politique que de refléter la beauté du monde et c’est ce que nous avons voulu montrer dans le livre, estime l’éditeur. A partir des années 1960-70 s’opère cependant un changement, avec l’arrivée d’une nouvelle génération de photographes; la mission devient alors de montrer que cette beauté est menacée.» Récemment publiés, des reportages sur le trafic d’ivoire, la révolution alimentaire, les fillettes que l’on marie de force au Yémen ou en Inde.
Cent vingt-cinq ans après son lancement, le mensuel reste le journal officiel de la National Geographic Society, fondée par Graham Bell et 32 consorts pour «propager la géographie». L’institution promeut toujours la recherche scientifique, l’exploration et l’éducation, elle finance de nombreux projets. Parmi ses bénéficiaires, Hiram Bingham, découvreur du Machu Picchu, l’archéologue des hauteurs Johan Reinhard, le commandant Cousteau ou Jane Goodall, la célèbre primatologue. Mais le National Geographic, surtout, est devenu une marque. Sous la bannière jaune, des chaînes de télévision ou de radio, des revues pour enfants, des magazines d’histoire, des livres, des guides de voyage, des vidéos ou encore des cartes. A travers tout cela, la National Geographic Society estime toucher quelque 500 millions de personnes chaque mois. Le magazine, lui, traduit en 39 langues, revendique 40 millions de lecteurs. Le National Geographic et Taschen étaient faits pour se rencontrer.
Le Tour du monde en 125 ans , Reuel Golden, Editions Taschen, 3 volumes de 28 x 39 cm, 2014,1404 p.
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Reuel Golden
Editeur chez Taschen
«Le «National Geographic» n’a d’autre agenda politique que de refléter la beauté du monde»