Comment un enfant du Guatemala peut-il trouver la mort à la frontière entre l'Irak et le Koweït? Et si c'était aussi ça, la mondialisation? Une sorte de «justice poétique» a voulu que José Antonio Gutierrez, 29 ans et caporal des Marines, meure le premier jour de la guerre d'une balle «amie», c'est-à-dire américaine. Et de son incapacité à comprendre ce qu'il faisait vraiment là.

S'il avait vu ce documentaire, il aurait compris. Compris que ses amis n'étaient pas forcément ceux qu'il croyait, que son «rêve américain» avait quelque chose de frelaté. C'est tout le mérite de ce film que d'offrir cette vision globale et les outils d'analyse dont on dispose rarement pour sa propre vie. Et ceci mine de rien, en faisant simplement son travail d'enquête sur les traces du disparu, un peu vite enterré en «héros». L'histoire qu'on découvre derrière la version officielle est plus embarrassante. On pensait déjà tout savoir de cette «sale guerre» et voilà qu'un film, suisse et neutre (plutôt que de l'axe Moore - Chomsky) nous en révèle encore un aspect inédit.

Eduqué puis sacrifié

Orphelin d'une de ces guerres civiles entretenues par les Etats-Unis dans leur arrière-cour, Gutierrez fut un enfant de la rue misérable et affamé avant de passer illégalement la frontière, via le Mexique, porté par son rêve de devenir architecte. Mentant sur son âge, il profita de programmes scolaires spéciaux jusqu'à ne plus avoir que l'armée comme ultime recours pour éviter la déportation. C'est ainsi qu'il devint l'un de ces 32000 «green card soldiers» enrôlés contre la promesse d'un passeport américain pour «lutter contre le terrorisme» en Irak.

A bien des égards, le film donne l'impression de chasser un fantôme. On ne saura ainsi jamais ce qui se passa vraiment dans la tête de Gutierrez, rien de ses amours ou de ses haines. Pourtant, en passant constamment du particulier au général, de son «protagoniste» à tous ses semblables aujourd'hui, la cinéaste réussit bien mieux qu'un portrait in absentia. Sans oublier de montrer les gens de bien qui s'activent aux Etats-Unis comme ailleurs, elle se place dans l'angle mort du système pour mieux esquisser ce nouvel ordre mondial américain, Moloch insatiable qui n'en finit pas de réclamer des victimes.

La Courte vie de José Antonio Gutierrez (Das kurze Leben des José Antonio Gutierrez), film documentaire de Heidi Specogna (Allemagne-Suisse 2006). 1h34.