Les sons s'élèvent de la masse orchestrale. Ils forment une sorte de fleuve humain. Les voix instrumentales sont chahutées dans un chaos informe: toute individualité semble niée. La pièce évolue dans un climat d'oppression et d'instabilité. «Le propre de l'exode, c'est de se retrouver dans un ailleurs non désiré, un ailleurs qui fait peur», commente le compositeur.
Loin de refroidir le public, le morceau fait son effet. Et c'est en suivant son instinct plutôt que de chercher à plaire que William Blank a su toucher le public. «Je voulais déjouer les pièges de la commémoration facile et donner une autre image de la Suisse que celle du chocolat, du fromage et des coucous. Pour moi, la musique ne peut pas être détachée du réel, des tragédies humaines.» William Blank a dédié sa pièce à Kofi Annan qu'il admire pour son action de paix et sa rectitude intérieure. Il lui a d'ailleurs offert le fac-similé de la première page du manuscrit d'Exodes. «Ce qui m'a le plus touché, c'est lorsque Kofi Annan m'a dit que j'avais su retranscrire dans mon morceau ce qu'endurent les réfugiés.»
Standing ovation
C'est donc un succès inattendu qu'a recueilli vendredi soir William Blank. Mais le compositeur n'est pas le seul à avoir dominé les feux de la rampe. L'Orchestre de la Suisse Romande a joué Les Tableaux d'une exposition de Moussorgski en deuxième partie de soirée. Il arrivait ainsi au terme d'une tournée de quatre concerts aux Etats-Unis avec son chef Pinchas Steinberg et le pianiste français Jean-Yves Thibaudet.
Les musiciens sont partis dimanche 19 octobre. Ils ont sillonné la côte Est, en commençant par Annapolis, une ville située aux environs de Washington. Là, ils ont joué dans une salle polyvalente à l'acoustique moyenne. Mercredi, ils ont remporté un succès amplement mérité à l'Avery Fischer Hall du Lincoln Center de New York – le seul concert d'envergure sur le plan artistique. Le public new-yorkais s'est même levé pour leur accorder une standing ovation. Jeudi, l'orchestre a pris un car pour se rendre au campus de l'Université du Connecticut à Storrs (une salle à l'acoustique moyenne). Est-ce à dire que les musiciens sont satisfaits de leur tournée?
Si les uns estiment que le concert de l'ONU a représenté une bonne opération pour l'image de l'orchestre, d'autres regrettent l'époque révolue des grandes tournées. «Autrefois, nous partions pour un mois, confie cette violoniste. Nous étions fatigués, mais il se créait un élan de solidarité au sein de l'orchestre.» Elle n'est pas la seule à exprimer un sentiment de nostalgie. Plusieurs musiciens évoquent l'époque où l'OSR partait tous les deux ans au Japon et aux Etats-Unis. Pour y donner une quinzaine de concerts, pour y jouer dans des salles prestigieuses. Il se développait une autre forme de complicité entre le chef titulaire et ses musiciens. Le différend entre Pinchas Steinberg et ses musiciens, qui a abouti au non-renouvellement de son contrat cet été, n'a rien fait rien pour souder les deux parties. Pour les responsables de l'OSR, la portée symbolique de la tournée – avec le concert à l'ONU comme point culminant – constitue l'enjeu primordial.
Entre les trajets en bus et les escapades dans les clubs de jazz, les musiciens ont tout de même appris à se connaître. Mais celui pour lequel New York aura apporté la plus grande satisfaction personnelle reste sans doute William Blank. «Ce fut une des expériences les plus fortes de ma vie: avoir réussi à toucher les représentants de 180 nations par le moyen d'un art aussi exigeant que la musique.»