Cela fait longtemps qu’il ne foule plus les planches. Et pourtant, Nicolas Musin a encore tout d’un danseur: le port de tête césarien, la démarche gracieuse, l’élégante assurance de celui qui a séduit les projecteurs du monde entier. Même ses mots sont précis et mesurés comme un pas de bourré.

Il respire planche à roulette

Pourtant, point d’arabesques ni de chaussons. Aujourd’hui, Nicolas Musin respire planche à roulettes et béton. C’est que le chorégraphe d’origine belge prépare en ce moment un spectacle autour du skatepark de Plainpalais, qui mêle l’art de la danse et celui de la glisse. Une création profondément urbaine et se jouant des codes scéniques.

Surprenant ? Pas tant que ça : le parcours de Nicolas Musin est tout sauf classique. À commencer par son enfance qu’il passe entre le Kenya, la Tanzanie et le Sénégal où il suit son père, un entrepreneur bruxellois en mal de voyages. C’est là qu’il se découvre une passion pour la danse. À Dakar, dans une école-antenne créée par Maurice Béjart, le petit Nicolas s’initie à la discipline en imitant les mouvements des locaux. Une fougue au corps qui le fascine. «J’étais le seul Blanc qui essayait de ressembler à un Africain, avec les cheveux très longs, un dos cambré. Très vite, j’ai été conscient de ma maîtrise de l’espace et de la manière d’y articuler mon corps. C’était une sorte de déclic.»

A 13 ans, l'Opéra de Paris

Peu après, la famille quitte le continent pour s’installer en France. Mais cette folle énergie, cette liberté propre aux rythmes africains, Nicolas Musin s’en est déjà imprégné et elle ne le quittera plus. Même au moment d’enfiler les collants gris-clair de l’Opéra de Paris, à 13 ans, lorsqu’il intègre la prestigieuse école de danse de l’établissement. Une sorte d’«ENA du ballet», comme il l’appelle, qui prêche la rigueur et le classicisme façon Lac des Cygnes et où le Belge ne se sent pas à sa place.

Une fois diplômé, Nicolas Musin balaie donc l’Opéra pour travailler avec des chorégraphes plus modernes comme l’Afro-américain Alvin Ailey. «J’ai choisi la route de la précarité, de la création et du plaisir du mouvement plutôt que celle du ballet classique», explique Nicolas Musin. Inspiré, le jeune prodige crée ses premières œuvres chorégraphiques à 22 ans, jusqu’à ce qu’une blessure au tendon d'Achille ne sonne la fin de sa carrière de danseur quelques années plus tard, alors qu’il interprète le Prince dans «La Belle au bois dormant» au Ballet de Hambourg.

Il devient chorégraphe

Il devient donc chorégraphe à temps plein, mais pas sans douleur : «Danser sur scène, c’est comme la cigarette, une vraie addiction. C’est terrible de devoir s’asseoir sur une chaise pour diriger les autres. Certains n’en font jamais le deuil». Mais lui rebondit, avec souplesse toujours, jusqu’à fonder sa propre compagnie de danse moderne en 2000, à Vienne. La troupe de 24 danseurs tournera dans le monde entier pendant huit ans, un «vrai conte de fée» que le Belge évoque avec une fierté teintée de nostalgie.

Son fils l'inspire

C’est à Genève que Nicolas Musin finira par s’établir avec sa femme, danseuse elle aussi, et leur jeune fils. C’est d’ailleurs lors d’une balade en famille que lui vient l’idée de son nouveau spectacle: «Nous sommes allés au skatepark avec mon fils, qui est lui même fan de ce sport. J’ai regardé l'endroit, ses lignes horizontales et les têtes qui dépassaient... je me suis dit que c’était un espace magnifique, en mouvement, un épicentre de la culture urbaine.»

Il rencontre ensuite Michel Gaud, président de l’association culturelle La Compagnie Urbaine, et les deux hommes s’associent pour monter ce projet autour des arts de rue. Prévu pour septembre 2017, le show s’annonce fourmillant : danseurs, free-runners et glisseurs évolueront dans les creux de béton du bout de la Plaine, sur fond de musique contemporaine et de mapping vidéo. «Ces discipline ont un vrai langage commun, en ce qu’elles forment de super-athlètes qui répètent inlassablement leurs figures», commente le chorégraphe. Des auditions ont d’ailleurs déjà eu lieu au printemps pour dénicher des riders de talent.

Vertigineux gradin

Et lorsque Nicolas Musin décrit le gradin vertigineux qu’il a imaginé pour asseoir les spectateurs, ses mains s’animent et dessinent de petits entrechats. «On pourra venir se promener simplement pour apprécier le décor. Il faut faire rayonner ce skatepark, en faire un espace de partage intergénérationel.»

Si, selon lui, la culture urbaine existe bel et bien à Genève, elle manque de visibilité et souffrirait d'un certain conformisme. Mais le chorégraphe l’assure, il se sent comme chez lui au bout du lac et apprécie la mixité culturelle qui y règne: «Mon métier m’a fait voyager dans plus de 80 pays et je les retrouve tous en revenant ici !» L’année prochaine, il obtiendra d’ailleurs la nationalité suisse.

Bientôt, on le sent se trémousser sur sa chaise. Les jambes se balancent, impatientes de se remettre en marche. Nicolas Musin esquisse un sourire d’excuse : «J’ai beau être chorégraphe, mon corps n’oubliera jamais la danse. Il a toujours besoin d’être en mouvement. La sédentarité, très peu pour moi !»


Profil

1967 Naissance à Louvain (Belgique)
1980 Rentre à l'Ecole de Danse de l'Opéra de Paris
1987 Sa première chorégraphie "Reflets" reçoit les Prix Léonide Massine et Serge Lifar
1989 Il danse "In The Middle Somewhat Elevated" et "New Sleep" de William Forsythe
1994 Danseur principal au Ballet de Hambourg / John Neumeier
1999 Il crée le Prince dans la "Belle au Bois dormant" Mats Ek
2002 Il crée sa compagnie à Vienne (Autriche)
2016 Il est directeur artistique de la Compagnie Urbaine